Sabotages en série, lignes TGV paralysées, entreprises visées : la France a de nouveau été frappée au cœur de ses réseaux. Dans la nuit du 26 au 27 octobre, plusieurs incendies et destructions coordonnées au sud de Valence ont désorganisé l’un des principaux axes ferroviaires du pays. Les enquêteurs soupçonnent une action concertée, possiblement signée de l’ultragauche, coutumière de ce type de cibles et de méthodes. Mais une autre hypothèse émerge : celle d’une ingérence étrangère opérant “sous fausse bannière” pour semer la confusion. Derrière ces attaques, c’est une guerre de basse intensité qui se joue — celle des “mille entailles” visant à faire vaciller les flux vitaux du pays.
Entretien d’Olivier Vial, directeur du CERU, responsable du programmes RadicalitéS sur les nouvelles formes de contestation pour le site Atlantico, paru le 28 octobre 2025.
Très factuellement, la chronologie parle d’elle-même. Dans la nuit de dimanche à lundi, un premier incendie est signalé vers 3 h 30 dans une carrière du groupe Cheval, à Saint-Marcel-lès-Valence (bâtiment et engins de chantier détruits, préjudice chiffré à plusieurs millions d’euros par l’entreprise) ; un peu plus tard, vers 4 h, un feu est allumé sur des câbles de signalisation et de communication de la ligne Grande Vitesse au sud de Valence (Alixan) ; enfin, aux alentours de 6 h 30, un vol de câbles de caténaires est constaté vers Bollène (à 80 kilomètres). Ces trois actes de sabotages ont désorganisé fortement l’axe Sud-Est de la SNCF en pleine période de départs pour les vacances de la Toussaint (environ 50 000 voyageurs TGV impactés, hors TER).
Pourquoi évoquer la signature de l’ultragauche ? D’abord parce que les cibles et le mode opératoire sont typiques. Le BTP — ateliers, carrières, engins — figure depuis des années parmi les « ennemis » prioritaires de la galaxie anarcho-autonome, au même titre que les infrastructures de transport et d’énergie. Ici, la carrière Cheval est touchée la première. Puis à quelques centaines de mètres, c’est la SNCF qui est visée. Les auteurs ne s’en sont pas pris à des équipements anodins. Ils ont incendié des chambres de tirage. Des points névralgiques permettant de maximiser les dégâts et les perturbations. 16 câbles ont ainsi été endommagés obligeant à remplacer 400 mètres des câbles et de fibre optique.
Ensuite parce que ces attaques s’inscrivent dans une stratégie théorisée par l’ultragauche : frapper les réseaux qui irriguent l’économie — transports, électricité, communications — pour accroître le coût logistique du « système ». La SNCF a déjà fait face à des sabotages coordonnés (incendies d’installations techniques et boîtiers le jour de l’ouverture des JO, été 2024), attaques contre le réseau électrique lors du festival de Cannes (mai 2025) et la France a connu des coupures de fibres optiques d’ampleur en 2022.
L’ultragauche a compris qu’il n’y aurait pas de grand soir au cours duquel le système serait renversé d’un coup. Ils ont adopté la stratégie théorisée par le penseur de djihadisme moderne et de l’Etat islamique, Abou Moussab al-Souri : une “stratégie des mille entailles” faite d’innombrables petites attaques qui finissent par affaiblir l’adversaire. Par cet emprunt tactique (multiplier de petites opérations ciblées), l’ultragauche prétend couper et « faire saigner » les flux (rail, énergie, data) qui font battre le cœur du capitalisme.
À cela s’ajoute l’ancrage territorial. Depuis 2017, le bassin grenoblois et, plus largement, le couloir rhodanien ont vu se multiplier des incendies revendiqués par la mouvance autonome (gendarmerie, équipements publics, antennes, etc.). Le procureur de Grenoble évoquait encore début 2025 un « important fief de l’ultragauche libertaire insurrectionnelle ». Quant à la Drôme, elle est devenue la base arrière de nombreuses communautés autonomes qui s’y sont installées en marge du système.
Enfin, une possible revendication est apparue sur les plateformes anarchistes, sous la forme d’un poème « Une route de plus vers nulle part, poème d’une attaque contre Cheval TP et la SNCF ». Si le ton ironique ressemble à d’autres revendications de l’ultragauche (L’incendie d’un MacDo par les Frites Insoumises, le sabotage du réseau SNCF lors de la cérémonie d’ouverture des JO par la Délégation inattendue, les sabotages d’engins de chantier de l’A69 par un collectif baptisé le GIEC…), il faut cependant rester prudent car aucune photographie ni élément de preuve n’accompagne ce texte permettant de l’authentifier.
Au total, la séquence — choix des cibles (BTP + LGV), savoir-faire technique, revendication dans la sphère anarchiste — colle à un modus operandi déjà observé et à une matrice stratégique assumée par l’ultragauche.
2/ Il est également possible que ce sabotage soit le fait d’une ingérence étrangère qui aurait imité la signature de l’ultragauche. Que sait-on exactement sur le risque ? Quid de l’éventuelle possibilité d’une instrumentalisation de l’ultragauche par des puissances étrangères ?
Effectivement, sur le principe, la signature de l’ultragauche a également pu être imitée. Les opérations hybrides jouent précisément sur ce brouillage. L’organisme français de lutte contre les ingérences numériques étrangères, VIGINUM décrit ainsi les opérations sous fausse bannière : « Cette méthode consiste à conduire une opération d’influence numérique en faisant porter la responsabilité à un autre acteur […] L’attaquant cherchera alors à utiliser les marques de reconnaissance ou le modus operandi d’un adversaire afin de semer la confusion » (trad. de VIGINUM, rapport JOP 2024).
Deux cas de figure se dessinent donc ;
Soit des services étrangers frappant “sous fausse bannière”. En Pologne, plusieurs individus ont été arrêtés et condamnés des individus pour des incendies et des préparatifs de sabotages visant notamment les réseaux ferrés. En France, l’ingérence s’est surtout vue dans des opérations de désinformation et de déstabilisation, notamment autour des JO 2024 : VIGINUM a documenté des campagnes liées à l’Azerbaïdjan (Baku Initiative Group, « organe de propagande d’État agissant contre la France », selon le rapport) qui reprenaient et amplifiaient des narratifs militants pour délégitimer nos institutions. Là encore, on s’appuie sur des controverses réelles pour grossir l’écho des réseaux activistes et affaiblir l’adversaire et fractionner la communauté nationale. La France n’est donc pas à l’abri de ce type d’ingérence.
Mais, celle-ci peut-être plus directe et prendre la forme de la manipulation, l’instrumentalisation de réseaux locaux. Elle consiste à pousser des groupes déjà existants à franchir un seuil (blocages, actions coup-de-poing), à servir de caisse de résonance à des actions de déstabilisation. Le cas Bashir Biazar est un parfait exemple de cette stratégie. Arrêté à Dijon puis expulsé, Bashir Biazar est présenté par les autorités comme « agent d’influence » lié à l’unité 840 de la force al-Qods, les services secrets iraniens. Il avait infiltré les milieux activistes étudiants sur les campus pour les pousser à organiser des actions et des blocages sur le campus contre Israël.
Le contre-espionnage militaire (DRSD) corrobore ce double constat, avec prudence sur l’attribution matérielle : « à ce jour, il n’y a pas eu d’action étatique caractérisée » contre notre base industrielle et technologique de défense, mais « certaines actions récentes, liées notamment à l’ultragauche, […] revendiquées sur [ses] sites » ont bien visé des cibles sensibles. Surtout, la DRSD pointe la « possible instrumentalisation, consciente ou non, de ces groupuscules par des acteurs étatiques », un phénomène « extrêmement complexe à caractériser », mais désormais un point d’attention majeur pour nos services.
Pour les actions menées hier dans la région de Valence, la piste de l’ultragauche est privilégiée, mais il ne faut pas totalement fermer les autres pistes. Dans le monde de l’activisme violent et des ingérences étrangères, rien n’est jamais simple.
3/ Quelles doivent être les réponses politiques, tant dans le cas d’une ingérence que dans celui d’une attaque violente menée par l’ultragauche ?
Qu’il s’agisse d’une opération d’ultragauche ou d’une ingérence étrangère, nous sommes confrontés à une forme de guerre diffuse, qui vise à désorganiser le pays en attaquant les réseaux qui le font tenir – transports, électricité, communication.
Le ministre des Transports a d’ailleurs rappelé l’ampleur du défi. La SNCF exploite des dizaines de milliers de kilomètres de câbles (dont 20 000 km de fibre optique) et plus de 33 000 km de caténaires. Autant dire qu’il est matériellement impossible de surveiller chaque mètre de rail, chaque chambre de tirage, chaque faisceau de fibres optiques. C’est précisément ce que cherche l’ultragauche : frapper des points isolés, créer la peur de la vulnérabilité, et contraindre l’État à un impossible quadrillage. Ces saboteurs savent qu’ils jouent sur la disproportion : une simple pince coupante peut désorganiser tout un axe à grande vitesse et bloquer des dizaines de milliers de voyageurs.
Pour répondre à cette menace, deux pistes sont à creuser.
La première est technologique : améliorer la surveillance et la sécurisation des nœuds stratégiques. Cela suppose d’investir dans des dispositifs de surveillance et de sécurité. Un plan de 100 millions d’euros est prévu pour cela.
La seconde piste plus décisive concerne le renseignement. Les attaques récentes prouvent qu’il faut accroître les moyens consacrés à la surveillance des mouvances d’ultragauche et aux ingérences étrangères. Le 30 janvier 2025, le procureur de Grenoble, Éric Vaillant, au moment de quitter ses fonctions dans cette ville, avait tenu à souligner la menace trop longtemps sous-estimée que faisait peser l’ultragauche sur nos vies. Ils notaient : « l’ultragauche à Grenoble, c’est un attentat tous les six mois en moyenne ». Et pourtant, jusqu’à présent le parquet antiterroriste préfère déléguer ces affaires aux juridictions locales.
Cette montée de la violence politique et de son impact sur nos entreprises est désormais une inquiétude largement partagée. Dans son dernier baromètre des risques, paru en janvier 2025, l’assureur Allianz classe les risques activistes et politiques devant les incendies et les risques climatiques, à la quatrième place des préoccupations majeures des entreprises.
Il faut donc renforcer nos services de renseignement territorial, mieux articuler les RT, la DGSI, la DRSD, VIGINUM, et instaurer une veille permanente sur les convergences de luttes qui offrent un terreau à la subversion. C’est dans ces zones grises – entre militantisme, activisme et sabotage – que se préparent les actions les plus déstabilisatrices.
En parallèle, l’État doit rétablir la dissuasion républicaine : poursuites systématiques, qualification de faits de sabotage en atteinte à la sécurité nationale, et dissolution administrative des structures qui encouragent, théorisent ou financent ces actions. La banalisation du « désarmement » ou de la « désobéissance radicale » a créé un flou qu’il faut désormais lever : brûler des engins, couper des câbles, ou bloquer des réseaux, ce n’est pas de la contestation, c’est de la violence politique.
En somme, la réponse politique doit être double :
– Sécuriser et surveiller nos réseaux avec les outils de la modernité ;
– Renforcer le renseignement et la riposte judiciaire pour traiter la menace à sa racine.
C’est à ce prix seulement que nous éviterons que des minorités radicalisées ou des puissances étrangères puissent, par quelques entailles bien placées, faire vaciller les flux vitaux du pays.
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