CERU

Par Morgane Daury Fauveau

Le 5 mai 2020 à 12h50

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Depuis quelques jours, la panique s’est emparée du monde politique qui redoute une vague de plaintes post coronavirus. Cette panique donne lieu à des propositions de textes destinées à empêcher toute poursuite judiciaire à l’encontre des décideurs qui auraient commis des infractions pénales à l’occasion de la crise sanitaire. On a d’abord pris prétexte de la situation des maires, qui se sentent surexposés au risque judiciaire. Cette crainte ne relève pas du fantasme et la jurisprudence est riche d’exemples de poursuites infondées à l’encontre d’un édile qui se soldent, fort heureusement, souvent par une relaxe, mais sans manquer de provoquer anxiété et perte de temps.

Ainsi, la tribune de députés et sénateurs La République en marche, intitulée « La reprise de l’école est notre exigence, la protection juridique des maires également » a été publiée dans le JDD du 3 mai.

On se permettra incidemment de dire qu’il devient vraiment extrêmement lassant d’être pris à ce point pour des idiots : alors que le titre de la tribune, et son ton général semblent ne se préoccuper que du sort des maires, il apparaît en réalité que ses signataires veulent soustraire à la justice une très grande partie des acteurs publics de la crise sanitaire que nous traversons.

En effet, la tribune annonce vouloir « élargir le champ de la réflexion à l’ensemble des personnes dépositaires d’une responsabilité publique ou d’une mission de service public ». On soulignera au passage la curieuse expression « dépositaire d’une responsabilité publique » inconnue du langage juridique et plus largement de la langue française jusque-là. Et plus loin, les signataires annoncent qu’ils vont proposer « une adaptation de la législation pour effectivement protéger les maires pénalement, mais aussi toutes les personnes dépositaires d’une mission de service public dans le cadre des opérations de déconfinement, et ce, pour une période limitée, et qui réponde principalement aux attentes réelles des édiles de France ».

Gageons qu’au bout du compte, on retrouvera dans le texte le tiercé habituel des atteintes à l’autorité de l’État, réprimées par le livre IV du code pénal : personne dépositaire de l’autorité publique, personne chargée d’une mission de service public et personne investie d’un mandat électif public.

La proposition a donc pour ambition d’amnistier préventivement une bonne partie des agents de l’État et des collectivités territoriales, en tous cas ceux dotés d’un pouvoir de décision et souvent de contrainte (personnes dépositaires de l’autorité publique), les personnes, qu’elles soient fonctionnaires ou non, qui poursuivent une mission d’intérêt général, mais sans disposer d’un pouvoir de décision ou de contrainte (personnes chargées d’une mission de service public) et enfin les élus, tous les élus. Concrètement, ne seraient pas susceptibles de poursuites pénales, pêle-mêle et au hasard, le président de la République, les ministres, les secrétaires d’État, les parlementaires (une fois, le cas échéant, les immunités levées), le directeur général de la santé, les agents des ARS, le président et les membres du Conseil scientifique Covid-19, les préfets, les maires et leurs adjoints, etc…

En revanche, resteraient soumis au droit commun, les chefs d’entreprise qui ont tenté de relancer l’activité économique du pays, les médecins libéraux, les chefs de service et médecins hospitaliers…

Cela pose la question, dont le Conseil constitutionnel serait nécessairement saisi, du respect du principe d’égalité devant la loi pénale. À cet égard, il faut rappeler que le problème de la mise en cause de la responsabilité pénale des maires n’est pas nouveau et a déjà provoqué deux modifications de l’article 121-3 du code pénal qui pose les conditions de la responsabilité pénale pour des fautes non intentionnelles (homicide involontaire et blessures involontaires). La première date de la loi du 13 mai 1996 qui a rappelé au juge qu’il ne doit pas entrer en voie de condamnation si l’auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Cette loi n’ayant pas freiné l’élan de judiciarisation de la vie publique, le législateur est à nouveau intervenu par la fameuse loi Fauchon du 10 juillet 2000. Aux termes d’une disposition très alambiquée, on distingue dorénavant entre l’auteur direct et l’auteur indirect du dommage, le premier voyant sa responsabilité pénale engagée même lorsque la faute est ordinaire, alors que la condamnation du second suppose qu’il ait commis une faute qualifiée, c’est-à-dire grossière. L’auteur est indirect lorsqu’il a créé une situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’a pas empêché sa survenue. Il s’agit donc des maires et plus largement des décideurs publics et privés.

Il avait été, un moment, envisagé d’introduire cette disposition exclusivement dans le code général des collectivités territoriales. Elle n’aurait alors concerné que les maires. Mais il est apparu que le Conseil constitutionnel ne manquerait pas d’invalider la disposition, lui qui avait déjà rappelé quelques années plus tôt « que le principe d’égalité devant la loi pénale ne fait pas obstacle à ce qu’une différenciation soit opérée par le législateur entre agissements de nature différente ; que, toutefois, pour des infractions identiques la loi pénale ne saurait, dans l’édiction des crimes ou des délits ainsi que des peines qui leur sont applicables, instituer au profit de quiconque une exonération de responsabilité à caractère absolu, sans par là même porter atteinte au principe d’égalité » (Décision n° 89-262 DC du 7 novembre 1989, loi relative à l’immunité parlementaire). C’est pourquoi le législateur a finalement opté pour une réécriture de l’article 121-3 du code pénal.

24 heures après la tribune du JDD, dans la nuit du 4 au 5 mai, le Sénat a adopté un amendement aux termes duquel :

« Nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée du fait d’avoir, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire déclaré à l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus SARS-CoV-2, soit causé ou contribué à causer une telle contamination, à moins que les faits n’aient été commis :
« 1° Intentionnellement ;
« 2° Par imprudence ou négligence dans l’exercice des pouvoirs de police administrative prévus au chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique ;
« 3° Ou en violation manifestement délibérée d’une mesure de police administrative prise en application du même chapitre ou d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

« Dans le cas prévu au 2°, les troisième et quatrième alinéas de l’article 121-3 du code pénal sont applicables. »

Si le texte évite l’écueil de l’atteinte au principe d’égalité (« Nul »), il ne change strictement rien à l’application des dispositions légales du code pénal puisque l’amendement opère un renvoi à l’article 121-3 qui demeurerait applicable.

Il est vrai que bien des décideurs publics doivent se préparer à des lendemains qui déchantent.

Mais l’inquiétude des maires doit être relativisée : la mise en cause de leur responsabilité pénale, dans l’hypothèse qui nous préoccupe, devrait normalement être paralysée par la cause d’irresponsabilité de l’article 122-4 du code pénal. En effet, on rouvrant une école, le maire répond au commandement de l’autorité légitime puisque c’est le pouvoir exécutif qui a annoncé la reprise des cours. Il est vrai que les choses ne sont pas si simples puisqu’en réalité, l’incertitude subsiste selon la couleur du département et que l’administration a réussi à fournir un protocole sanitaire de 56 pages pour l’école, fournissant autant d’occasions de commettre une faute.

Toutefois, sur le fond, on peut raisonnablement penser que la responsabilité pénale de l’élu ne sera pas retenue pour deux raisons. D’une part, il faudrait pouvoir rapporter la preuve d’une faute grave. Il ne suffira pas de dire que les livres n’ont pas été systématiquement désinfectés. D’autre part et surtout, le lien de causalité entre la faute et le dommage doit être certain. Or nul, à part le bon Dieu (qui n’est pas particulièrement bavard), ne peut déterminer avec certitude la source de la contamination.

En revanche, il est fort à parier que la pénurie de masques et de tests, l’inertie du gouvernement malgré les avertissements, notamment de l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn, l’interdiction de prescription de l’hydroxychloroquine et azithromicine (si l’efficacité du traitement est finalement révélée), sont des scandales sanitaires majeurs dont les acteurs devront répondre.

Pr. Morgane Daury-Fauveau, Professeur de droit privé, spécialiste du droit pénal, Directeur du CERU, le labo d’idées universitaire

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