CERU

Par Charles Prats

Le 1 juin 2018 à 12h03

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Tribune de Charles Prats, initialement parue sur Dalloz-Actualité

Comme au moment de l’adoption ou de la mise en œuvre de chaque loi touchant à l’université, le folklore universitaire s’accompagne immanquablement de son lot de « blocages », « grèves étudiantes », occupations et autres dégradations, décidées en « assemblées générales » dont le développement des réseaux sociaux et des vidéos amateurs permet de constater chaque jour le peu de représentativité.

Les nuisances pour les étudiants sont néanmoins bien réelles puisque des centres universitaires se retrouvent empêchés de fonctionner correctement et, assez souvent, des violences inacceptables sont commises, comme par exemple le saccage du local de l’union des étudiants juifs par l’extrême-gauche au centre universitaire Tolbiac, la découverte de cocktails Molotov dans ce même établissement, les blessures oculaires graves infligées à l’un de ses fonctionnaires, victime d’un « piège à acide » à base de vinaigre, l’agression d’un député venu dialoguer avec les bloqueurs ou encore l’expulsion particulièrement violente d’étudiants d’un amphithéâtre de l’université de Montpellier par un groupe d’individus cagoulés non encore identifiés et armé de bâtons. On peut se demander pourquoi les forces de l’ordre n’interviennent pas plus tôt dans ces cas, ce qui heurte le sens commun.

Les privilèges universitaires, remontant au Moyen-Âge, sanctuarisent en quelque sorte l’université : les forces de l’ordre ne peuvent y entrer qu’à la demande du président de l’établissement. Sauf bien sûr en cas de flagrant délit qui relève de la procédure pénale classique et qui permet aux officiers de police judiciaire d’intervenir directement, sous le contrôle habituel du procureur de la République.

Un « blocage » d’une université par des personnes qui y sont étudiantes ou par des éléments extérieurs ne relève en réalité pas aujourd’hui d’une infraction pénale. On pourrait croire que l’intrusion dans une université pour y troubler l’ordre public ou en perturber le fonctionnement est constitutif d’un délit. C’est l’analyse qui aurait été faite dans l’affaire de Montpellier où le Doyen de la faculté de droit et un professeur ont été mis en examen pour notamment complicité d’intrusion dans un établissement scolaire, selon ce qu’en a rapporté la presse.

Mais les articles 431-22 et 431-23 du code pénal répriment le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement. Et la Cour de cassation, dans deux arrêts remarqués du 11 décembre 2012 (Crim. 11 déc. 2012, n° 11-84.304, D. 2013. 15 ; ibid. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin et n° 11-88.431) publiés au Bulletin (Bull. crim. n° 272) est venue préciser que les établissements d’enseignement supérieur ne sont pas des établissements scolaires et que l’incrimination de l’article 431-22 du code pénal ne trouve pas à s’y appliquer.

En clair il n’est pas possible de poursuivre pénalement les auteurs d’une « intrusion » dans une enceinte universitaire avec les dispositions susvisées. Entre parenthèses, cela revient également à questionner les qualifications de complicité qui auraient été retenues à Montpellier à l’encontre des deux universitaires selon la presse : comment être complice d’une infraction qui n’est pas pénalement réprimée par le texte ? Et dans la même veine, il apparaît impossible, en l’absence de commission d’autres infractions autonomes, d’en appeler à l’arme pénale pour libérer des enceintes universitaires bloquées par la force par quelques groupes minoritaires mais très agissants.

Une réforme législative simple pourrait cependant débloquer ces situations : la suppression du mot « scolaire » dans l’article 431-22 du code pénal. Ce qui aurait pour effet de permettre l’application de l’incrimination à l’ensemble des établissements d’enseignement, y compris supérieurs. Ce petit changement permettrait d’incriminer les opérations de blocages ou de déblocage sauvages des universités et libérerait du même coup les présidents des établissements de la responsabilité compliquée qui leur est donnée vis-à-vis des personnels et des étudiants, qui explique souvent leurs hésitations : les intrusions illicites et les blocages devenant des délits, la flagrance continuant tant qu’il y a maintien irrégulier dans les lieux, les forces de l’ordre pourraient intervenir sans réquisition préalable pour mettre fin aux occupations illégales, constater les infractions et et interpeller immédiatement leurs auteurs.

Évidemment le débat serait intense : quid de la liberté d’expression dans les universités ? Mais la tradition et l’histoire des facultés françaises montrent que celles-ci ont toujours fourni des amphithéâtres pour que s’expriment les débats politiques. Il ne s’agit donc pas de museler la parole des étudiants. Mais plutôt de donner les instruments pour empêcher que cette parole soit confisquée par quelques-uns au détriment de l’immense majorité des autres, comme le récent vote électronique à la faculté de lettres de Nancy l’a démontré, où plus de 70% des étudiants ont voté le déblocage de leur université afin de pouvoir étudier et passer leurs examens, dans l’indifférence absolue des bloqueurs locaux qui ont maintenu leurs actions malgré le désaveu cinglant du vote.

Une loi de réforme pénale arrive au Parlement. C’est un véhicule législatif idéal pour se saisir de cette question.

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