CERU

Par Olivier Vial

Le 16 octobre 2023 à 7h05

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Par Olivier Vial, directeur du CERU, le labo d’idées universitaire

Chronique parue le 15 octobre sur Atlantico

L’ancien chef du Hamas, Khalid Meshaal, avait exhorté, dans une déclaration vidéo, les musulmans du monde entier à faire du vendredi 13 octobre la journée de la colère et du djihad. Après cet appel, un enseignant était assassiné à Arras par un jeune tchétchène fiché S. Une autre tentative d’attentat a été déjouée quelques heures plus tard dans les Yvelines. Ces nouvelles attaques sur notre sol constituent une preuve supplémentaire que le djihadisme n’a besoin d’aucune raison « objective » pour frapper ; Dominique Bernard, le professeur décédé n’était pas un colon juif, il a pourtant été lui aussi poignardé aux cris de « Allah Akbar » comme des centaines de civils israéliens quelques jours plus tôt.

Cette atrocité ne s’explique pas. Cette atrocité ne s’excuse pas. Cette atrocité doit être combattue partout avec la même détermination.

À la suite du meurtre de ce professeur héroïque qui s’est interposé entre ses élèves et le terroriste, l’émotion de la classe politique a cette fois-ci, été unanime. Heureusement ! Pourtant, difficile de ne pas être révolté à la lecture des messages d’hommage des responsables de LFI qui hier encore refusaient de condamner le terrorisme du Hamas, ou pire ceux des responsables du NPA qui appelaient en début de semaine à « l’Intifada » affirmant leur soutien aux « moyens de lutte » utilisés le 7 octobre. C’est, pourtant, la même idéologie qui a armé le bras du tueur d’Arras.

Immédiatement après le drame, le Président de la République a réaffirmé « combien l’école et la transmission sont au cœur justement de [la] lutte contre l’obscurantisme »[1]. Si seule l’ignorance faisait le lit du terrorisme ou de l’antisémitisme, comment expliquer tous ces communiqués de soutien au Hamas qui sont venus des meilleures universités et écoles du monde ?  

Quand 35 organisations étudiantes de la prestigieuse Harvard écrivent quelques heures après la découverte des massacres dans les Kiboutz qu’elles tiennent « le régime israélien pour entièrement responsable de toutes les violences qui se déroulent » dénonçant « la violence israélienne » et « les représailles coloniales »[2] ; quand dans l’antenne délocalisée de Sciences Po Paris à Menton, des étudiants publient un appel à soutenir les « résistants palestiniens de la bande de Gaza », ajoutant qu’« il ne s’agit pas d’une guerre entre deux puissances égales, mais d’une lutte entre l’oppresseur et l’opprimé, entre le colonisateur et le colonisé » [3], ce qui semble à leurs yeux légitimer toutes les exactions[4] ; quand au sein du temple des sciences sociales françaises, l’École des Hautes Études en Sciences Sociales – EHESS, le syndicat Solidaires défend les actes de la « résistance » palestinienne, ajoutant « nous nous distancions de toutes les prises de position qui, à gauche, appellent à la désescalade […], et mettent sur le même plan la violence des résistants palestiniens et celle des colons et de l’armée d’occupation israélienne »… Quand de telles positions sont diffusées par ceux qui sont censés représenter l’élite de nos formations intellectuelles, il devient légitime de s’interroger : le savoir et de brillantes études immunisent-ils encore contre l’obscurantisme ?  

Les études décoloniales : la culpabilité inextinguible de l’homme blanc

Les évènements de ces derniers jours nous répondent : à l’évidence non ! Tous les enseignements ne permettent pas de lutter contre les phénomènes de radicalisation. Certaines disciplines universitaires concourent même à biaiser le regard d’une partie de la jeunesse étudiante en posant sur la réalité un filtre idéologique qui tend à effacer les crimes des « colonisés » et de leurs descendants pour exacerber ceux des « colonisateurs » et de leurs « héritiers ».

 

Depuis près de cinquante ans, les études décoloniales et postcoloniales cherchent ainsi à débusquer dans notre culture, notre langue, notre Histoire et nos institutions, les éléments qui seraient constitutifs, selon eux, de microagressions ou d’une domination même invisible vis-à-vis des personnes « racisées ». Sur cette base, elles instruisent un procès permanent dont le coupable, désigné par avance, reste et demeure l’Homme blanc. Le syllogisme est connu : les dominants sont coupables, l’Homme blanc est dominant, il est donc par essence coupable. Gayatti Chakravotry Spivak, l’une des pionnières de la théorie postcoloniale, va proposer comme principe d’analyse et d’action politique ce qu’elle nomme « l’essentialisme stratégique » dont l’objectif consiste à s’appuyer et « à maintenir les stéréotypes au sein d’opposition binaires porteuses de pouvoir »[5]. Elle utilise le pouvoir subversif et simplificateur de cette méthode consistant à diviser le monde en une multitude de couples antagoniques : dominants / dominés, colonisateurs / colonisés … et obligeant chacun à se « positionner » selon ces nouvelles grilles.

 

Un autre binôme s’impose dans les esprits :  racisés / racistes. En effet, selon les tenants de ces courants de pensée, si vous n’êtes pas racisés, vous êtes forcément racistes. Pierre Tevanian, un militant décolonial, professeur de philosophie en banlieue parisienne, écrit : « les blancs sont en effet malades d’une maladie qui s’appelle le racisme et qui les affecte tous sur des modes différents même lorsqu’ils ne sont pas racistes »[6]. Sic !

 

C’est cette même grille de lecture binaire que l’on retrouve dans les nombreux communiqués de soutien à la Palestine à la suite des attaques terroristes du Hamas ; les Palestiniens étant « dominés », ils ne peuvent par définition pas être coupables. Le même raisonnement explique, selon les adeptes de ces théories, qu’il ne puisse exister de racisme anti-blanc. Éric Fassin, interrogé sur cette question, affirmait : « Quand vous traitez quelqu’un de sale blanc, avec quoi cela résonne-t-il ? Pas grand-chose. Cela ne renvoie pas à une histoire raciste. Il n’y a pas de racisme sans domination, et les blancs en tant que groupe n’ont jamais été dominés en France »[7]. Sans domination pas de crime, voilà le principe qu’ils essaient d’imposer.

 

Tous ces théoriciens sont les idiots utiles du djihadisme. En faisant par essence de l’Homme blanc, le salaud universel, ils entretiennent une véritable « haine de soi » au sein des nouvelles générations et de certains milieux. La réaction de l’actrice Rosanna Arquette en a été le symptôme. Elle s’est, en effet, sentie obligée de s’excuser dans un tweet : « Je suis désolée d’être née blanche et privilégiée. Cela me dégoûte. J’ai tellement honte ». En se développant, ces thèses participent à une forme de « démoralisation » de la société qui peut l’empêcher de trouver les ressources morales pour se défendre quand elle est attaquée. Dans l’art suprême de la guerre, Sun Tsu évoquait 8 préceptes permettant justement de vaincre l’ennemi sans combat. Trois d’entre eux – semer la discorde entre les citoyens, ridiculiser les traditions et dresser les jeunes contre les vieux – sont à l’œuvre dans la façon dont ces théories woke se sont développées.

Ces thèses alimentent également les braises du ressentiment parmi les personnes désignées comme « racisées ». Une haine inextinguible se développe puisque le racisme dont les minorités sont désormais censées être constamment les victimes n’est plus la conséquence d’actes ou de comportements racistes, mais sont inhérents à nos sociétés et au fait même qu’il existe des blancs. Rien ne peut donc l’éteindre. Certains militants de l’islamogauchisme espèrent profiter de la montée de cette animosité pour imposer leur agenda politique[8].

Le cocktail explosif de l’indigénisme

Cela transparaît, notamment, dans les écrits et la stratégie du Parti des Indigènes de la République. Après le 7 octobre, ce mouvement a osé saluer « l’héroïsme des combattants de Gaza » en adressant au Hamas sa « fraternité militante ». Houria Boutledja, la fondatrice de ce mouvement, s’est appuyée sur le décolonialisme pour le radicaliser et en faire un outil de mobilisation dans les quartiers. Elle a ajouté la question juive, une bonne dose d’antisémitisme à celle de la domination des blancs dans un cocktail qui pourrait devenir explosif.

Dans son livre, Les Blancs, les Juifs et nous, elle reproche aux juifs de s’être assimilés à la Nation française et d’en avoir épousé les principes républicains. Elle les accuse d’être ainsi devenus les « dhimmis de la République » et les « tirailleurs sénégalais de l’impérialisme occidental »[9]. « On ne reconnaît pas un juif parce qu’il se déclare juif » poursuit-elle « mais à sa soif de vouloir se fondre dans sa blanchité […] votre zèle est trahison. Il y en a même parmi vous qui combattent le racisme anti blanc »[10].

Ce nouvel antisémitisme se fonde sur la haine des Blancs au sens large, mais aussi ce que nous sommes en tant que Français et Occidentaux. Entre le ressentiment porté par les mouvements postcoloniaux et l’antisémitisme affiché de l’indigénisme, il existe sans doute une différence de degré, mais pas de nature.

Poussant encore plus loin son délire, Houria Boutledja accuse Jean-Paul Sartre de ne pas avoir osé aller au bout de son combat contre la domination de l’Homme blanc : « Pressé d’enterrer Auschwitz et de sauver l’âme de l’homme blanc, il creuse le tombeau du Juif [en soutenant la création de l’État d’Israël]. Le Palestinien était là par hasard. Il lui écrase la gueule. La bonne conscience blanche de Sartre… C’est elle qui l’empêche d’accomplir son œuvre : liquider le Blanc. Pour exterminer le Blanc qui torture, il aurait fallu que Sartre écrive : « Abattre un Israélien, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre.  » Se résoudre à la défaite ou à la mort de l’oppresseur, fut-il Juif. C’est le pas que Sartre n’a pas su franchir. C’est là sa faillite. Le Blanc résiste. Le philosémitisme n’est-il pas le dernier refuge de l’humanisme blanc ? »[11].

 

La politique de l’autruche n’est plus possible. Le parti des indigènes de la République doit-être dissous au même titre que tous ceux qui se rendent coupables d’apologie du terrorisme, mais cela ne suffira pas. Il faut également réinvestir les sciences humaines et mieux les encadrer pour ne pas les laisser aux mains de ces adeptes de la pensée pyromane.

 

 

 


[1] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/10/13/declaration-du-president-emmanuel-macron-depuis-arras

[2] https://www.lefigaro.fr/international/plusieurs-associations-etudiantes-d-harvard-tiennent-israel-pour-responsable-des-violences-qui-se-deroulent-20231009

[3] https://www.lefigaro.fr/nice/boycotter-israel-sur-le-campus-de-sciences-po-menton-polemique-autour-d-etudiants-pro-palestine-20231010

[4] « Les peuples opprimés recherchent toujours la liberté et, lorsque tout le reste échoue, ils se tournent vers la violence » concluent-ils leur communiqué.

[5] Helen Pluckrose, James Lindsay, Le triomphe des impostures intellectuelles, comment les théories sur l’identité, le genre, la race gangrènent l’université, éditions H&O, 2021.

[6] Cité par Pascal Bruckner dans l’ouvrage collectif Après la déconstruction, l’université au défi des idéologies, éditions Odile Jacob, mars 2023, p.126.

[7] https://information.tv5monde.com/international/eric-fassin-les-racises-ne-sont-pas-definis-par-leur-couleur-mais-par-leur-experience

[8] Je vous invite à lire ma tribune sur le sujet parue cette semaine dans Figaro Vox.

[9] Bouteldja Houria, [2016], Les Blancs, les Juifs et nous, vers une politique de l’amour révolutionnaire, La fabrique éditions, Paris, p. 51.

[10] Ibid, p. 47.

[11] Ibid, pp.17-18.

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