CERU

Par Olivier Vial

Le 2 avril 2024 à 18h04

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« L’été sera chaud, l’été sera chaud [1] ». Pour Andreas Malm, le théoricien de l’écologie radicale, l’été n’est plus la saison des « t-shirts et des maillots [2] », mais celle des catastrophes climatiques. Le moment idéal pour frapper l’opinion et passer à l’action en programmant des sabotages ciblés contre les instances du « capitalisme fossile ». C’est sur ce conseil à l’allure de mot d’ordre que l’universitaire suédois a conclu sa conférence donnée devant les membres de la France Insoumise, le samedi 30 mars. Message reçu cinq sur cinq par les organisateurs qui ont surenchéri en rappelant qu’avec les JO de Paris l’exposition médiatique sera mondiale.

Chéchia[3] sur la tête pour marquer son engagement en faveur de Gaza, celui qui s’est fait connaître en 2020 avec son livre Comment saboter un pipeline était, en effet, l’invité du l’Institut de la Boétie[4] pour plancher sur la meilleure façon de s’attaquer au capitalisme. Quelques jours avant, le 28 mars, il avait été applaudi par les étudiants de l’Université Paris Dauphine. À chaque fois, le fondateur du léninisme écologique dispense ses conseils pour muscler l’action des militants afin de préparer la prise du pouvoir central représenté par l’État.

Activiste[5] avant d’être universitaire, ce n’est qu’à partir de 2005 qu’il découvre le combat écologique et comprend que l’urgence ressentie par les populations face aux menaces climatiques et environnementales peut constituer un formidable levier pour détruire le capitalisme occidental[6]. Andreas Malm va alors consacrer ses travaux « académiques » aux questions de stratégies et de tactiques. Comment rendre l’action des militants écologistes plus efficace et plus subversive ? Comment dépasser la philosophie non violente qui traverse à cette époque les principaux mouvements de défense de la planète et relégitimer le recours à une forme de violence politique ?

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L’acceptation d’un front radical

À travers une relecture historique des différentes luttes sociales (suffragettes, mouvements des droits civiques…), il essaie de déconstruire « l’idée que la seule manière d’obtenir gain de cause serait la non-violence ». Dans un entretien à Reporterre[7], il accuse des universitaires, comme Érica Chenoweth, d’avoir imposé leurs théories sur la non-violence, alors que, selon lui, aucune victoire n’a jamais été remportée sans violence ; les actions pacifistes de Martin Luther-King n’ont obtenu des résultats que grâce à la présence d’un flanc radical, incarné par Malcom X et les Blacks Panthers. Il en tire une leçon : les stratégies violentes et non violentes ne s’opposent pas, elles se complètent.  » L’influence bénéfique d’un flanc radical présuppose une division du travail où les radicaux et les modérés jouent des rôles très différents. Les premiers portent la crise jusqu’à un point de rupture tandis que les seconds y proposent une issue[8]« . Dans un entretien vidéo pour le site du Monde[9], Manuel Cervera-Marzal, sociologue à l’EHESS affirme ainsi que « le critère d’efficacité d’un mouvement c’est moins le fait qu’il soit violent ou non violent, mais c’est sa capacité à articuler de manière intelligente la violence et la non-violence, à trouver un terrain d’entente entre violents et non-violents[10] ».  

Mais, en parfait stratège, Andreas Malm s’intéresse également à la façon de ne pas se mettre l’opinion publique à dos par des opérations qui seraient mal comprises, mal ciblées ou mal perçues. Dans ses travaux, il réfléchit à la notion d’acceptabilité de la violence. Celle-ci évolue, selon lui, en fonction d’abord du contexte national. Samedi dernier, il s’est félicité, par exemple, que la France soit un terreau plus fertile pour ses idées que ne l’est son propre pays. Notre culture politique lui apparaît plus ouverte aux actions radicales que celle d’autres pays européens. « Les Soulèvements de la terre n’auraient sans doute pas pu exister de la même façon en Suède. La condamnation aurait été générale » a-t-il souligné, se félicitant du rôle pionnier que pourrait jouer la France.

L’approbation de la violence serait également fonction des cibles choisies. Malm critique les blocages d’autoroutes qui pénalisent indifféremment toutes les classes sociales. Les actions de sabotage doivent avoir du sens. Il invite donc les activistes à s’attaquer d’abord aux riches (dégonfler les pneus de SUV car ce sont des biens de luxe), à certaines entreprises comme   TotalÉnergie présentée comme l’une des entreprises les plus « agressives contre la planète », ou encore au secteur militaire responsable, selon lui, de l’une des pires empreintes carbone[11].  Samedi dernier, il a donc appelé son auditoire à « s’intéresser à la façon dont l’appareil militaire nuit au climat ». Inquiétant !

Enfin, le temps jouerait également un rôle déterminant dans la légitimation de la radicalité. Plus la perception de l’urgence climatique est vive, plus les actions violentes seront acceptées, prédit-il. Il existerait une « loi de l’augmentation tendancielle de la réceptivité [de la violence] dans un monde en réchauffement rapide [12] ». « À six degrés d’augmentation [de la température], l’envie de faire sauter des pipelines pourrait bien être à peu près universelle[13] ». Cette thèse se confirme malheureusement au regard de l’acceptation grandissante de la violence politique chez les 18-30 ans et particulièrement ceux qui se déclarent éco-anxieux.

Recréer et nourrir les affrontements de classes

Toutefois, quel que soit leur degré de radicalité, pour Malm, les activistes à eux seuls ne peuvent pas remporter une victoire définitive contre le système. Pour massifier la contestation, il appelle donc à nourrir de nouveaux affrontements de classes. Depuis quelques années, une partie du mouvement climat, totalement en ligne avec cet objectif, s’emploie avec succès à alimenter le ressentiment contre « les riches », leur consommation, leurs modes de vie, leurs loisirs jugés « non essentiels » comme le golf, le ski ou encore le tourisme.

Dans son dernier livre, paru en octobre 2023, Avis de Tempête, le Suédois évoque même le besoin ardent d’entretenir « une haine de classe écologique ». Samedi, devant les militants de LFI, il évoquait la nécessité d’instaurer une éco-classe sur laquelle s’appuyer pour élargir la coalition politique contre les responsables de la capitalocène[14]. Un propos qui faisait écho à celui de Clémence Guetté, députée LFI et présidente de l’Institut La Boétie estimant que le rôle de son parti, même s’il ne s’inscrit pas dans la logique d’une lutte armée, est de faire émerger « un peuple révolutionnaire ». Le chercheur au CNRS, Christophe Bonneuil, n’a fait qu’abonder en ce sens. Sous les applaudissements de la salle, il a estimé que la massification des actions de reprises des terres était un objectif prioritaire. Et pour cela, il a invité les participants à renouer avec la révolte paysanne et de réactiver la lutte des classes au sein du monde agricole.

Fidèle au léninisme écologique qu’il revendique, Andreas Malm estime que la montée en radicalité des mouvements activistes, l’élargissement de la contestation grâce à une nouvelle lutte des classes ne sont que des étapes devant conduire à la conquête du pouvoir politique central. Quelques jours après les évènements de Sainte-Soline, il affirmait : « il faut intégrer le sabotage dans le répertoire d’actions du mouvement climat, et augmenter la pression sur l’État pour le contraindre à agir. Dans le pire des cas, il fera des concessions, et dans le meilleur des cas on en prendra le contrôle, que ce soit après une victoire de LFI ou après un processus révolutionnaire. À un certain moment, la pression populaire sera suffisante[15] ». Il poursuit : « LFI est dans un dialogue constructif avec le mouvement social, sur les questions de race, d’islamophobie, de police et d’écologie. Leur projet parlementaire est ouvert sur la société, c’est l’un des rares qui mérite d’être considéré[16] ».

L’auteur de Comment saboter un pipeline place de grands espoirs en LFI pour incarner le communisme de guerre écologique auquel il aspire ; un pouvoir central et coercitif fort capable d’imposer une transition écologique anticapitaliste. Si ce discours a rencontré un accueil très chaleureux de la part des militants LFI, il continue cependant de diviser le monde politique et activiste. Ainsi, Léna Lazare, porte-parole des Soulèvements de la terre, pourtant peu suspecte de modération, affirme dans la Tribune que  » Le néoléninisme vert dont il se revendique ne parle pas forcément au sein de notre mouvement »[17]. En effet, une autre tradition radicale, issue des mouvements autonomes, irrigue les mouvements écologistes. Christophe Bonneuil a tenté, par exemple, de proposer une vision moins matérialiste et moins centrée sur l’État, basée sur le développement et la prise de contrôle de zone alternative, sur le modèle des ZAD ou des communs, capables d’incarner aux yeux de certaines populations comme les classes populaires et les « non-blancs », des lieux de vie alternatifs.

Si le débat entre activistes reste ouvert sur la finalité, tous semblent désormais avoir accepté la surenchère vers la violence politique et le sabotage appelé désarmement climatique. Les Soulèvements de la terre viennent d’annoncer un programme d’actions directes de masse jusqu’en octobre. L’été sera chaud !  


[1] Référence à la chanson d’Eric Charden de 1979, l’Été s’ra chaud.

[2] Ibid.

[3] La chéchia est une coiffe portée par les musulmans.

[4] Centre de formation idéologique lancé par Jean-Luc Mélenchon.

[5] Il a été militant trotskyste au sein de la IV° internationale.

[6] Capitalisme occidental qu’il combat depuis le milieu des années 90. Il s’installe même en Palestine et écrit de nombreux articles contre Israël et l’Occident.  

[7] Reporterre, 28 mars 2023.

[8] Malm A, Comment saboter un pipeline ? éditions La Fabrique, 2020.

[9]https://www.youtube.com/watch?v=e7P-RM_NgpA&utm_source=sendinblue&utm_campaign=Dialogue%20Civil%20La%20lettre%20-%2016%20novembre%202021&utm_medium=email – novembre 2021.

[11] L’appareil militaire en temps de paix représenterait déjà 5,5 % des émissions de CO2 globales contre seulement 3 % pour l’avion. En période de guerre, cette part augmente fortement.

[12] Malm A, Comment saboter un pipeline ? éditions La Fabrique, 2020, p. 148.

[13] Ibid.

[14] Le concept de capitalocène a été forgé par Andreas Malm pour remplacer celui d’anthropocène, car selon l’auteur suédois, les dérèglements climatiques ne sont pas de la responsabilité de l’Homme en général, mais seulement des capitalistes.

[15] Mediapart – 27 mars 2023.

[16] Ibid.

[17] La Tribune, 31 mars 2024.

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