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Par Morgane Daury Fauveau

Le 25 mai 2020 à 6h57

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Tribune parue dans le Figarovox Pour cause de Coronavirus, la prestigieuse Université de Cambridge a fait le choix de dispenser ses cours uniquement en ligne l’année prochaine, et en parallèle la France prévoit un présentiel en mi-temps. Pour la juriste Morgane Daury-Fauveau, cette distance avec l’enseignant laissera beaucoup d’étudiants sur le carreau.

L’université de Cambridge a annoncé qu’en raison de la pandémie, elle dispensera tous ses cours en ligne l’année prochaine. Bien entendu, il n’y a aucune raison financière à cette décision, il serait malveillant de soupçonner que le prestigieux établissement souhaite faire des économies. Nul doute que l’enseignement distanciel engendre les mêmes dépenses d’enseignants, de personnels administratifs et techniques et d’entretien des locaux que le présentiel. Il faut protéger la santé de nos jeunes gens et des enseignants, mêmes s’ils sont jeunes, sans diabète, ni surpoids et ont donc un risque de tomber malade tellement faible qu’il ne doit même pas être chiffrable.

L’étudiant français moitié réel, moitié virtuel.

En France, le maître mot de la rentrée à l’université est un barbarisme: l’hybridation. Il s’agit de faire cours, pour partie en classe et pour partie en ligne. Un barbarisme donc, qui va créer une chimère: l’étudiant, moitié réel, moitié virtuel. Voilà un joyeux capharnaüm qui s’annonce.

Mais la disparition de l’enseignement traditionnel (doit-on dire «à l’ancienne»?) au bénéfice de l’enseignement à distance (moderne donc génial) recèle des dangers bien plus considérables.

La concentration des étudiants et leur émulation intellectuelle sont favorisées par la fréquentation de leurs congénères et le contact direct avec leurs enseignants. Il est évident que l’isolement accentue considérablement le risque de décrochage. De nombreux étudiants ne se mettent avec sérieux à leurs études que parce qu’ils y sont entraînés, par leurs amis, leur entourage, l’ambiance de leur promotion. Ceux-là n’ont pas une seule chance de poursuivre avec un enseignement à distance. Seuls s’en sortiront ceux qui sont déjà très bons, déjà brillants ou aidés par des cours particuliers. Sans compter que les épreuves se feront aussi en ligne et que c’est un festival de la triche, comme nous l’a récemment expliqué le Figaro Étudiant. Cette promotion a déjà perdu un semestre complet, faut-il vraiment ruiner la prochaine rentrée et la valeur de ses diplômes?

Contrairement à ce qu’ont l’air de penser nos autorités, un enseignant ne se contente pas d’ânonner son cours comme il réciterait une recette de cuisine. L’enseignant est un acteur qui rentre en amphi comme on entre sur scène, avec pour objectif de capter son auditoire. J. P. Brighelli l’explique très bien dans une chronique récente sur son blog,«enseigner masqué: Un prof, comme un acteur, ne joue pas qu’avec avec sa voix, mais aussi avec sa gestuelle et «tout le non-verbal si essentiel pour enrober et faire passer le message». Dans un entretien au Point de ce mois, Jacques Weber dit «au théâtre, on se touche, on sue, on postillonne!». En amphithéâtre aussi… si on est face à un auditoire, car il est nettement plus difficile d’être enthousiaste, bouillonnant et même enflammé devant un écran.

Nul ne fait cours de la même manière si il se sait filmé ou enregistré.


Dans une classe ou dans un amphi, l’enseignant repère souvent, à son regard, l’étudiant intelligent et impliqué qui est là pour apprendre. Lorsque le cours est ardu, l’enseignant voit dans les yeux de l’élève s’il a compris. Quand tel n’est pas le cas, lorsqu’on ne voit pas dans le regard de l’étudiant l’étincelle espérée, c’est qu’il faut reprendre l’explication, remettre l’ouvrage sur le métier, gagner encore en limpidité.

Enfin, les cours sont parfois l’occasion d’échanges échevelés dont le prof ressortira certes rincé mais avec le sentiment d’avoir fait progresser ses étudiants sur le chemin de la réflexion.

Rien de tout cela n’est possible en distanciel. Mais il y a plus grave encore. Nul ne fait cours de la même manière s’il se sait filmé ou enregistré. Par un phénomène d’autocensure qui interviendra nécessairement, nous resterons dans les clous du programme, nous veillerons à être toujours dans la mesure, nous réfrènerons la critique et le trait d’esprit. Adieu le lapsus comique qui nous fait rire avec nos étudiants. Finies les riches digressions provoquées par une question inattendue.

Il suffit de constater l’évolution de l’usage d’internet: d’un espace qui aurait dû favoriser la liberté d’expression et la manifestation de toutes les idées, on est arrivé à un lieu sous haute surveillance où des vigies de la parole inconvenante traquent la moindre entorse à une bien-pensance autoproclamée.

Nos discours en ligne deviendront ultra formatés, il n’y aura plus d’occasion d’aiguiser l’esprit critique de nos jeunes, de susciter l’interrogation sur la société dans laquelle ils vivent, de remettre en cause des idées acquises.

N’est-ce pas là le rêve de nos gouvernants: des citoyens dotés de compétences exclusivement techniques, sans ambition intellectuelle ni appréhension globale du monde qui les entoure et dont la seule soif sera alors celle de consommer?

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