CERU

Par Dr Bertrand Legrand

Le 27 septembre 2018 à 12h59

Je partage l'article

Les difficultés rencontrées par les patients qui souhaitent obtenir un rendez-vous médical font régulièrement les gros titres des médias. Le nombre de médecins, leur lieu d’installation sont systématiquement présentés comme les seules raisons de cette baisse de l’accessibilité médicale. Pourtant, il n’y a jamais eu autant de médecins en France. Les questions de démographie médicale, qui occupent les pouvoirs publics depuis des lustres, ne sont-elles pas l’arbre qui cache la forêt ?

En France, l’accessibilité aux soins passe par les 59 752 médecins généralistes en exercice qui constituent ce que les instances de santé publique nomment le « premier recours ».

Depuis 2012, le délai d’attente pour une consultation de médecine générale a doublé pour atteindre près d’une semaine. Pire encore, une étude consacrée aux cas les plus critiques de pneumologie, montre que 33% des patients hospitalisés suite à une exacerbation de BPCO (Broncho Pneumopathie Obstructive : surinfection pulmonaire à forte morbidité) n’ont pas vu leur médecin généraliste dans les sept jours suivants malgré les recommandations de la Haute Autorité de Santé du fait des risques et des complications que ce genre de pathologie entraîne.

Et, ceci ne se limite pas « au premier recours » puisque deux tiers des médecins généralistes déclarent avoir également de grandes difficultés pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste libéral de second recours. Cela se traduit d’ailleurs du côté des patients qui sont 71% à ne pas avoir vu leur pneumologue dans les 3 mois suivant leur hospitalisation pour exacerbation de BPCO.

Si le sentiment de désert médical s’est répandu dans la société Française au point que la question du délai d’attente est l’inquiétude n°1 des patients (devant le reste à charge), on ne peut pourtant pas mettre en cause le nombre absolu de médecins.

En effet, les chiffres sont cruels avec les idées reçues… La démographie médicale n’est pas en berne. Il n’y a jamais eu autant de médecins en France ! Et l’afflux conséquent de médecins de la communauté européenne ou à équivalence étrangère atteint même des sommets avec près de 20% de diplômes d’origine étrangère en 2017.

Se libérer de notre pensée euclidienne, pour comprendre le relativisme des déserts médicaux…

Beaucoup de Français voudraient voir un médecin au seuil de leur porte ou au moins dans leur village. Il faut avouer que cela n’est plus toujours le cas. Cependant, ce constat est à nuancer, si l’on veut bien faire l’effort de sortir d’une vision purement euclidienne de la géographie. En effet, en rapportant la présence du médecin à la densité de population, on se rend rapidement compte que la plupart des zones de déserts médicaux disparaissent d’elles-mêmes. En fait, il n’y a de déserts médicaux que dans les déserts populationnels …

La question n’est donc ni celle du nombre de médecins, ni celle de leur répartition géographique, mais bien celle de leur disponibilité.

Les études de patientele menées chaque année par la CNAM apporte une première explication à cette baisse de la disponibilité médicale. En 20 ans, le nombre de patients suivis par un médecin généraliste a fondu passant de 2000 à la fin des années 90 à moins de 900 en 2017… Le nombre d’actes par médecin généraliste n’atteint plus qu’à peine 22 par jour. C’est un phénomène unique en Europe.

Pour des raisons budgétaires, c’est l’Etat qui a organisé l’inaccessibilité des médecins… La théorie de la baisse de la demande par la baisse de l’offre couve depuis bien longtemps et fût caricaturale en 1995, où le mécanisme d’incitation à la cessation d’activité, MICA fit des ravages dans les rangs des médecins, détournant les médecins les plus âgés et les plus productifs de l’activité médicale.

Puis à l’issue des grèves de 2002, la garde fût rendue facultative. La régulation des appels, mise alors en place, a eu comme résultat l’augmentation de la non réponse et donc une diminution mécanique des actes nocturnes et parallèllement une utilisation inappropriée des services d’urgences pour traiter un afflux de patients relevant de la médecine de ville . Lorsque l’on sait que même pour les appels les plus urgents passant par le centre 15, 15% des appels n’aboutissent pas, on n’ose imaginer la difficulté à joindre la régulation libérale.

Cela est la conséquence directe du syllogisme imposé par l’Etat : moins de médecins disponibles = moins d’actes médicaux = moins de dépenses à rembourser.

La même logique inspire, dans les régions, les contrôles des caisses qui sur la base essentiellement des délits statistiques (trop d’actes prescrits, …) harcèlent les médecins travaillant le plus… pour épargner ceux à plus faible activité. Derrière tout cela, on retrouve l’idée reçue qui consiste à faire croire qu’un médecin faisant beaucoup d’actes ne peut que mal les faire… Or, dans les faits, on constate la même proportion de déviances à la norme quel que soit le nombre d’actes ! De plus, c’est justement sur la base des risques liés à une activité trop faible que les maternités furent regroupées à partir des années 70.

Si, dans le discours, les pouvoirs publics appellent à plus de disponibilité, ils agissent en réalité dans le sens d’une diminution de l’offre…

C’est ainsi que nous avons vu naître le concept des maisons de santé, qui regroupent des médecins d’un territoire proche en un seul lieu… Sur le terrain, cela a pu conduire a une baisse de la disponibilité médicale car au-delà même des vides sanitaires qui se créent quand un médecin part d’un village pour rejoindre d’autres médecins dans une maison de santé, on constate souvent que le nombre total d’heures de consultation proposé par les médecins une fois regroupés est inférieur à la somme des heures de consultation qu’ils assuraient individuellement. C’est donc encore une perte de disponibilité médicale, qui se fait certes le plus souvent au profit d’une continuité absolue des soins…

A cela, il faut ajouter la réforme des 35 heures. A l’hôpital, elle a abouti à siphonner des générations de médecins qui ont du venir combler les manques de personnel. La proportion d’installation en libéral (qui rappelons le constitue le socle perceptible du sentiment de désert médical) atteint des plus bas historiques. Désormais, moins d’un jeune médecin généraliste sur deux s’installe en libéral.

Mais, les médecins, eux-même, de façon plus ou moins consciente, organisent leur indisponibilité…

En effet, le phénomène s’est accéléré avec la disparition en quelques années de la consultation libre au profit de la consultation sur rendez-vous. Il existe aujourd’hui moins d’un tiers des médecins généralistes qui pratique une plage de consultation libre dans la semaine. Or, la productivité en soins programmés est 20% inférieure à celle de soins non programmés et que 40 min sont perdues chaque jour du fait de rendez-vous non honorés.

Peut-on réaliser un choc de productivité ? Bien évidemment, chacun comprendra qu’il ne s’agit pas de forcer le médecin à travailler… On ne décrète pas l’heure de fermeture d’un médecin libéral ni à 22 heures ni à 20 heures. Même Zeus ne peut contraindre Hermès !

Si l’on veut accroître la disponibilité médicale, il faut d’abord lutter contre le sentiment de dévalorisation de la médecine libérale. Les médecins libéraux souffrent d’un manque de reconnaissance du travail accompli. Cette défiance est bien plus perceptible dans les discours publics qu’au sein de leur propre patientèle. En effet, si le monde libéral n’est que rarement mis en avant par le monde politique… Les camps se toisant depuis la grande défiance de 1995… Ce n’est pas le cas des patients qui selon toutes les études d’opinion assurent de leur confiance leur médecin tout en nourrissant une méfiance vis-à-vis du système de santé.

Il faut surtout inciter à une hausse de la productivité complémentaire des médecins. Deux freins existent empêchant les médecins d’accroître leur disponibilité vis-à-vis de leurs patients. Tout d’abord, une véritable pression administrative vise les médecins les plus productifs. Ces derniers sont montrés du doigt individuellement alors que la profession est décriée pour son manque d’accessibilité…

Ensuite, le régime fiscal et le système de cotisations Urssaf et de retraite qui pénalisent également les plus actifs. En effet, le poids des cotisations augmente significativement au delà du trentième acte, ce qui nourrit le sentiment chez les médecins qu’au-delà de 30 actes, le gain complémentaire des actes suivants ne vaut pas la peine de travailler plus…

Afin de dépasser cela, il est nécessaire de rendre plus rentable les actes suivants. Il apparait compliqué de revaloriser des actes au-delà de la moyenne sans retomber dans un système de forfait qui n’est pas perçu comme un gain réel et pérenne par la communauté médicale.

Une défiscalisation des actes complémentaires serait, elle, une véritable incitation. Un système basé sur la moyenne des actes de l’années n-1 en France, permettant une remise d’impôt sur les actes complémentaires, serait une incitation forte pour accroître la disponibilité des médecins.

L’autre avantage d’une telle mesure s’est qu’elle ne nécessite pas d’augmentation du budget de la sécurité sociale. Ce serait juste une forme de défiscalisation des heures supplémentaires.

Une version médicale du « travailler plus pour gagner plus », principe qui semble séduire désormais jusqu’au rang de la majorité.

Télécharger la note au format pdf

tribune_bertrand_legrand2.pdf

Les articles que vous risquez d'apprecier...

Article lié -

Détrans, les Cassandre de la communauté Trans

Article lié -

Crise sanitaire, pénurie de masques, bureaucratisation de la santé, … Entretien avec le Pr. Gilles FREYER

Article lié -

Web-rencontre avec le Dr Bertrand Legrand