CERU

Par Olivier Vial

Le 29 avril 2025 à 12h14

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FIGAROVOX/ENTRETIEN – Ce 27 avril, l’assistant de la députée LFI Ersilia Soudais a appelé à « constituer des brigades d’autodéfense populaire » contre l’« islamophobie ». Dans une note pour l’Observatoire des radicalités, Olivier Vial explique que cette idée s’inscrit dans une longue tradition de l’ultragauche.

 Olivier Vial est directeur du CERU, un laboratoire d’idées indépendant.

LE FIGARO. – À la suite des propos de Ritchy Thibault, qui a appelé ses concitoyens de confession musulmane à constituer des milices d’autodéfense populaire, Bruno Retailleau a saisi la justice. Cette décision vous semble-t-elle justifiée ?

Olivier VIAL. – Totalement, d’autant que Ritchy Thibault est coutumier des provocations. Le préfet de police déclenchait contre lui l’article 40 du Code de procédure pénale il y a quelques jours à la suite d’un tweet où il appelait à l’insurrection en prévision des mobilisations du 1er mai. Dès qu’on lui tend un micro, il ne peut pas s’empêcher de faire preuve de radicalité à un niveau inquiétant de la part de quelqu’un encore assistant parlementaire, bien qu’il lui soit interdit de rentrer  dans l’Assemblée nationale , en raison de ses prises de parole ces derniers mois. Il faut espérer que la justice saura mettre un coup d’arrêt à ces provocations s’inscrivant dans la radicalité tant de LFI que de son hybridation avec des mouvements d’ultragauche plus inquiétants que ce parti. 

Ces propos s’inscrivent-ils dans un contexte idéologique plus large ?

La notion d’autodéfense, en effet, qu’il utilise en demandant la constitution de «brigades d’autodéfense populaire», est un concept en provenance de l’ultragauche militante et antifa, ainsi que de nombreux courants universitaires. Dans les années 70, l’autodéfense était plutôt mobilisée par les courants  féministes radicaux , pour contester l’ordre viril et policier et appeler les femmes à apprendre à se défendre elles-mêmes. Ce concept est ensuite monté en généralité pour soutenir que ni l’État, ni la police, ni la justice ne sont de confiance ; chaque communauté devrait ainsi se défendre contre les oppressions systémiques des institutions. Forcément, ce concept a irrigué tous les mouvements anarchistes et antifascistes car il attaque l’État dans l’un de ses piliers les plus importants, l’idée wébérienne de violence légitime.  

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Cela se répand dans les universités, notamment à travers la remise en cause de la police de la part d’auteurs comme Paul Rocher et Geoffroy de Lagasnerie. Celui-ci soutient que la police n’a pas pour fonction de maintenir l’ordre, mais effectuer un tri social, et cibler certaines catégories de personnes, en mettant en prison des gens en fonction de leur race. Cette idée est enseignée et légitime les mouvements violents.  Françoise Vergès  explique qu’en cas d’agression, les femmes ne doivent pas se rendre à la police, car elle incarnerait un ordre patriarcal qui tue et viole. Cette critique systémique de la police, de la justice et de nos institutions, débouche mécaniquement sur la volonté de créer un autre ordre policier. 

Aux États-Unis, l’aboutissement de cette logique a été l’émanation d’une sous-branche du mouvement woke,Defund the police. En quoi consiste ce mouvement ?

Defund the polices’est déclenché avec Black Lives Matter, après la mort de George Floyd, dans l’idée de réduire les pouvoir de la police et de la désarmer. Cette volonté s’exprime aussi en France, LFI souhaitant retirer certaines armes aux policiers et leur retirer des moyens financiers pour aboutir à la disparition de la police. Certaines des villes américaines qui se sont engagées dans cette voie ont vu la création de groupes antifas, s’érigeant en police pour régler à leur façon les conflits interpersonnels. On dispose d’un exemple français similaire, en outre, avec Notre-Dame-des-Landes où un collectif de jeunes femmes a pris la parole pour dénoncer les viols qu’elles y avaient subis. La pression était telle qu’on leur a interdit de porter plainte contre leur agresseur pour privilégier une autodéfense où l’agresseur fut condamné à vivre dans une espèce de baraque, à l’extérieur du centre de Notre-Dame-des-Landes, avec comme consigne d’écouter des podcasts et de lire des livres sur le patriarcat, avant de décider s’il pouvait être absous de ses fautes.  

Cette idée que chaque communauté devrait s’organiser selon ses propres règles et une justice qui lui appartient est de plus en plus populaire. Elle peut conduire à des mouvements antifas qui vont adopter la logique de Mark Bray (l’un des penseurs de la mouvance) selon lequel pour lutter contre les violences systémiques, il faut être en capacité de mettre une pression physique sur les agresseurs, même si ceux-ci n’ont commis aucune agression. Ces brigades d’autodéfense doivent protéger leur communauté, mais aussi attaquer les menaces systémiques. C’est la guerre de tous contre tous : dès qu’il n’y a plus de monopole pour garantir l’équilibre et la tranquillité, on se retrouve avec des milices agressives. L’idée se développe dans la littérature depuis les années 70, mais a pris un ton plus intersectionnel et se généralise depuis dix ans. C’est enseigné et explique qu’une partie des jeunes, comme Ritchy Thibault, trouve normal de prêcher le retour des milices. 

Faut-il y voir un combat politicien classique de la part de LFI ou la poursuite d’une logique communautaire ?

Les deux à la fois. D’un point de vue politique, ce propos s’inscrit dans les racines de l’ultragauche et des luttes intersectionnelles. Quand LFI met en place des commissions d’enquête sur les agressions sexuelles chez eux pour mener des missions parallèles à la justice et les condamner avant celle-ci, on est dans cette logique : «des règles à nous, une police à nous». De plus, cela s’inscrit dans la logique communautaire de LFI qui entend ainsi combattre l’islamophobie. Hélas, depuis le 7 octobre, La France insoumise entend utiliser une partie de la jeunesse musulmane la plus radicalisée comme un vecteur servant à entretenir le chaos afin de prendre pied dans les banlieues où l’ultragauche peinait à faire son nid. Le concept d’islamophobie, d’ailleurs, vient plus de milieux radicaux islamistes que de l’ultragauche classique. L’autodéfense contre l’islamophobie témoigne donc d’une passerelle entre combats politique et communautaire.

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