Olivier Vial, directeur du CERU, en charge du programme de recherche sur les RadicalitéS, était interrogé par Atlantico, le 19 juin : « Un gouvernement technique en cas d’absence de majorité est-il un aller simple pour la violence politique?«
Atlantico : Pensez-vous qu’un gouvernement technique pourrait réellement atténuer ou exacerber la violence politique actuelle en France, compte tenu de l’absence d’une majorité stable et de la montée des passions non purgées lors de la dernière campagne présidentielle ?
Olivier Vial : Non, je crois qu’un gouvernement technique serait considéré par les activistes comme un gouvernement d’extrême-centre, et ils estiment que l’extrême-centre est responsable de la possible arrivée au pouvoir de l’extrême-droite. C’est ce que soutiennent, par exemple, les Soulèvements de la Terre. Que ce soit un gouvernement technique ou un gouvernement du Rassemblement National, les deux seront des prétextes pour faire monter la violence politique, déjà très importante aujourd’hui et de plus en plus légitimée, notamment par le Bloc de gauche, qui la revendique comme un moyen d’action légitime.
Hier matin, nous avons un exemple illustrant ce phénomène : Mathilde Panot a été interrogée sur le fait d’avoir investi Raphaël Arnault, le leader de la Jeune Garde, un mouvement antifasciste, impliqué dans plusieurs actions violentes et des actions d’apologie du terrorisme. Raphaël Arnault est fiché S à plusieurs reprises, apparemment sous différentes identités. Lorsqu’on demande à Mathilde Panot si c’était une erreur de l’avoir investi, elle répond que non, c’est totalement assumé et réfléchi.
Quand on assume avoir investi des personnes qui utilisent la violence politique comme un outil quotidien, on ne peut pas s’étonner que le niveau de violence augmente. En somme, quel que soit le gouvernement, s’il n’est pas celui du Nouveau Front Populaire, si le gouvernement ne leur convient pas, il y a un risque important de violence.
Atlantico : Comment interprétez-vous donc le rôle des universitaires et de figures politiques comme Mathilde Panot dans la légitimation de la violence politique, surtout en contexte de candidatures controversées telles que celle de Raphaël Arnault ?
Olivier Vial : Il y a eu plusieurs cas au cours des dernières années, mais il faut noter que la violence politique a toujours été revendiquée par une partie extrêmement minoritaire de la gauche, en particulier de l’ultra-gauche, présente dans les mouvements antifascistes. Les mouvements antifascistes ont toujours été violents, et les mouvements anarchistes autonomes ont également pratiqué la violence. Mais ces deux familles étaient restées relativement minoritaires jusqu’à présent.
Depuis 2018, un auteur notable, Marc Bray, un penseur de l’antifascisme, a redéfini ce qu’il appelle « l’antifascisme du quotidien ». Selon lui, les actions antifascistes, y compris l’utilisation de la violence contre certaines personnes, ne visent pas seulement à empêcher l’accession au pouvoir des mouvements fascistes, mais aussi à lutter contre diverses formes de fascisme. Cela inclut les discriminations raciales, les discriminations de genre, la pollution, et, en général, tout ce qui constitue une entrave au combat anticapitaliste. Ainsi, cette redéfinition élargit considérablement le champ d’action de l’antifascisme.
Cet élargissement du champ de l’antifascisme a permis à beaucoup plus de personnes d’utiliser des méthodes violentes, autrefois limitées à ce domaine, dans d’autres contextes. La deuxième évolution, et sans doute la plus importante, est l’influence exercée sur les mouvements écologistes.
Traditionnellement, ces mouvements étaient des adeptes de la non-violence. Ils se contentaient de pratiquer des actions de désobéissance civile non-violente.
Atlantico : Les coalitions actuelles, bien que plus petites et plus fragmentées que les manifestations de 2002 contre le Front National, peuvent-elles réellement conduire à une radicalisation accrue et, par conséquent, à une violence politique plus importante ?
Olivier Vial : À l’origine, par exemple, Extinction Rebellion prônait la désobéissance civile non-violente, refusant même les actions de sabotage. Cependant, des universitaires comme Andreas Malm, notamment l’auteur suédois de « Comment saboter un pipeline », ont tenté de légitimer l’idée que la violence est le seul moyen de faire avancer les choses. En substance, Malm a voulu déconstruire le mythe selon lequel seules les actions non-violentes pouvaient être efficaces, rétablissant ainsi la violence comme un moyen d’action classique. Cela rappelle la matrice des années 70, lorsqu’un terroriste d’extrême-gauche considérait l’action directe comme un moyen efficace d’action.
Cette dynamique s’est effectivement développée, comme on l’a vu par exemple avec les Soulèvements de la terre. Ces mouvements ont permis à la gauche « classique », incluant des partis politiques et des syndicats traditionnels de faire cortège avec des groupes beaucoup plus radicaux, tels que les mouvements antifascistes, les Black Blocs et ceux proches de l’éco-terrorisme.
Tout cela a légitimé ces groupes. Lorsqu’on se demande si cela va devenir violent, il est pertinent de rappeler que les soulèvements de la terre ont publié, le 14 juin, un communiqué de presse très explicite appelant à un « soulèvement antifasciste ».
Ils mobilisent aujourd’hui un peu plus de 100 000 personnes, et lors de leurs actions, ils peuvent rassembler entre 5 000 et 7 000 individus pour des actions illégales contre les forces de l’ordre, démontrant ainsi une force de frappe considérable.
Ils estiment que le gouvernement Macron a préparé le terrain pour l’extrême-droite, accusant ce gouvernement de, je cite : « déployer une police radicalisée exerçant une violence sans borne, autorisée à mutiler en masse, et à laquelle il a été délivré un permis de tuer ». En tenant de tels propos, ils encouragent leurs militants à se préparer à un niveau de violence équivalent à celui qu’ils attribuent à la police. Ils mettent également en place des mesures de sécurité pour leurs militants.
En réalité, ils se positionnent dans une guerre fantasmée, ce qui leur permet de légitimer leur degré de violence. Ils vont même plus loin, annonçant des manifestations contre l’extrême-droite avant les élections, mais aussi des actions violentes et de blocages après les élections. Ils prévoient, dès le 8 juillet, des blocages ciblés et des prises de ronds-points partout en France, et en cas d’élection du RN, ils veulent empêcher que les Jeux Olympiques ne consacrent, sous le regard du monde, un gouvernement fasciste.
Ils ont déjà annoncé leur intention de multiplier les actions violentes pendant les Jeux Olympiques et d’organiser une résistance. Un grand rassemblement prévu le 16 juillet, initialement contre les mégabassines, est maintenant conçu comme un village de résistance contre les futurs gouvernements. Cette dynamique persistera, que ce soit sous un gouvernement du Rassemblement national ou un gouvernement technique.
Atlantico : Les mobilisations prévues en juillet contre l’extrême droite est-elle un signe que la violence politique pourrait s’intensifier, surtout parmi ceux qui n’ont pas encore été déçus par le système ? Comment percevez-vous cette situation par rapport aux précédents mouvements de protestation ?
Olivier Vial : Il existe deux risques susceptibles de favoriser une radicalisation et une augmentation de la violence. Premièrement, il y a une montée en puissance des thèmes radicaux. En effet, nous observons clairement une convergence croissante des combats dans tous les communiqués. Comparé aux manifestations de 2002 qui visaient principalement à contrer l’extrême droite et ses abus de pouvoir, la dernière manifestation a vu un cortège du Parti des Indigènes de la République dénonçant la colonisation des Blancs et mêlant des slogans confondant antisionisme et antisémitisme.
Il y avait une présence significative de partisans pro-Gaza, notamment une femme voilée sur le char du Parti des Indigènes de la République, incitant vigoureusement la foule à soutenir la résistance à Gaza. Des mouvements queers ont également manifesté en faveur de la Palestine, avec des figures de la gauche traditionnelle qui ont exploité ces éléments. Depuis le 14 juin, Caroline De Haas, une figure bien établie de la gauche « mouvementiste », orchestre le mobilisation des associations, des intellectuels et des influenceurs.
Un autre groupe, « On est prêt », organise également les influenceurs pour structurer les pousser à soutenir le Nouveau Front Populaire. Cette organisation est très structurée et les thématiques abordées sont plus radicales qu’en 2002, ce qui pourrait nourrir une escalade de la violence. Deuxièmement, la violence est aujourd’hui plus légitimée par une partie de la jeunesse qu’elle ne l’a jamais été.
Selon des sondages récents menés par l’Institut du Dialogue Civil, 32% des 18-30 ans estiment que des actions telles que l’occupation de bâtiments et le sabotage d’infrastructures sont légitimes. La combinaison de ces facteurs, une radicalisation croissante des thèmes qui amplifie la perception du danger et une acceptation accrue de la violence comme moyen d’action, pourrait alimenter une montée de la violence qui risque de devenir de plus en plus préoccupante.
Atlantico : En cas d’échec de projets d’infrastructure comme le projet autoroutier sur l’A69 par exemple, dans quelle mesure cela pourrait-il servir de catalyseur pour une mobilisation massive et une amplification du climat de tension politique en France ? Quels sont les scénarios envisageables en cas de majorité absolue ou de son absence ?
Olivier Vial : En cas d’échec de projets d’infrastructure majeurs comme l’autoroute A69, cela pourrait devenir un catalyseur significatif pour une mobilisation massive et une intensification du climat de tension politique en France. Les grands projets comme les méga-bassines sont devenus des points névralgiques de contestation, comme en témoigne le rassemblement prévu du 16 au 21 juillet dans le Poitou. Cette convergence pourrait coaliser une diversité de mouvements, avec le risque supplémentaire d’incorporer des acteurs étrangers, comme observé précédemment à Sainte-Soline.
Si de telles mobilisations devaient se cristalliser contre les futurs gouvernements, elles pourraient potentiellement accueillir des mouvements étrangers d’ailleurs en Europe (italiens, allemands ou espagnols) accentuant ainsi le niveau de radicalisation et de violence. Ce scénario souligne la possibilité d’une escalade de la violence influencée par des forces externes, renforçant ainsi les enjeux et les défis pour le maintien de l’ordre et la gestion des tensions politiques à l’intérieur du pays.
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