CERU

Par Charles Prats

Le 3 avril 2018 à 9h32

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Suite à l’attaque de Carcassonne du 23 mars dernier, une polémique politique s’est focalisée sur les mesures préventives qu’il serait possible – ou pas – de prendre pour mieux lutter contre le risque terroriste islamiste.

Force est de constater qu’une fois encore l’auteur des faits était connu des services de renseignement et inscrit dans les bases de données, notamment avec la fameuse «fiche S».

Le débat s’est concentré sur la proposition d’une partie de l’opposition de procéder à un internement préventif des fichés S dans le cadre d’une rétention administrative, le gouvernement dénonçant l’impossibilité juridique d’une telle mesure outre son inopportunité.

Cette question n’est pas nouvelle. Si le contexte n’était pas si dramatique, on pourrait rappeler avec un peu d’ironie taquine que le Premier ministre Édouard Philippe avait lui-même proposé il y a un an et demi le «placement en centre de rétention spécialisé» sur décision du ministre de l’intérieur des personnes constituant une menace grave pour la sécurité et l’ordre public, dans le cadre de la proposition de loi n°3997 de la Quatorzième Législature. C’est ni plus ni moins que la proposition défendue ces jours-ci par Laurent Wauquiez…

Le jeu des postures politiciennes étant ce qu’il est, il convient néanmoins de regarder ce que permet notre droit, avec une ligne rouge à ne pas franchir: pas de privation de liberté sans décision du juge judiciaire, l’article 66 de la Constitution pour boussole.

L’argument selon lequel on ne pourrait rien faire contre les individus soupçonnés de radicalisation susceptibles de passer à l’acte ne résiste dès lors pas à l’examen.

Si l’on procède à une analyse de risque, une première catégorie des personnes qu’il faut cibler particulièrement est aisément déterminable. Il s’agit des individus inscrits au fichier FSPRT (fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste) et ayant déjà été condamnés pour des infractions de droit commun.

Lorsque ces individus sont étrangers, leur expulsion immédiate et effective peut être décidée s’ils ne sont pas autorisés à résider sur le territoire français.

Dans l’hypothèse où ils sont étrangers en situation régulière, les investigations déjà menées par les services de renseignement et qui ont abouti à leur inscription dans le FSPRT ont déjà pu mettre en évidence, dans beaucoup de cas, une apologie d’actes de terrorisme dans leur comportement et leurs communications, notamment sur les réseaux sociaux. Si des poursuites de ce simple chef sont engagées et aboutissent à une condamnation, le juge prononce alors la peine d’interdiction du territoire, obligatoire sauf décision spécialement motivée du tribunal. En outre, le gouvernement a aussi dans les mains les armes administratives du non-renouvellement des titres de séjour et des ordres de quitter le territoire français.

Lorsque ces individus sont français, là encore, dans un grand nombre de cas, les investigations des services ayant conduit à leur inscription au fichier des personnes à suivre pour radicalisation islamiste ont pu mettre en évidence des comportements d’apologie d’actes terroristes. En cas de poursuites diligentées et de condamnation, le juge peut alors prononcer un suivi socio-judiciaire, y compris à titre de peine principale: cette disposition est déjà prévue pour toutes les infractions de terrorisme. Parmi les obligations de ce suivi socio-judiciaire figure notamment l’obligation d’établir sa résidence en un lieu déterminé. Il ne dépend alors que du juge judiciaire de fixer le lieu de résidence de l’individu. Il appartiendrait dès lors au gouvernement d’avoir la volonté de construire des résidences d’hébergement, de préférence dans des lieux éloignés de la population pour des raisons de sécurité. La République ne manque pas de territoires répondant à ces conditions.

En outre, le suivi socio-judiciaire permet de prononcer un placement sous surveillance électronique mobile, c’est-à-dire la géolocalisation permanente de la personne suivie. Actuellement, ce placement sous surveillance électronique mobile suppose notamment que l’individu ait été condamné à une peine privative de liberté assez lourde et ne peut excéder une durée relativement courte. Il ne serait pas inutile de prévoir qu’en cas de condamnation pour l’une des infractions de terrorisme, le placement sous bracelet électronique puisse être décidé sans être contraint par ces conditions restrictives.

On voit donc qu’en réalité le droit positif permettrait déjà de placer dans des lieux d’hébergement spécialement dédiés les individus considérés comme dangereux au regard du risque terroriste islamiste, à la condition que les éléments ayant conduit à les soupçonner soient “judiciarisés”. En clair que la justice les condamne pour l’une des infractions relevant du terrorisme, principalement le délit d’apologie qui est défini de manière assez large par la Cour de cassation.

Concernant une deuxième catégorie de personnes à fort risque de passage à l’acte terroriste, en l’espèce les individus djihadistes revenant de zones de combat, le droit positif permet de les neutraliser sans difficulté: procédure pénale classique et, comme précédemment, utilisation du suivi socio-judiciaire après qu’ils aient purgé leur peine.

Les politiques apparaissent aujourd’hui fondés à demander une revue exhaustive des risques concernant chacun des milliers d’individus fichés pour radicalisation islamiste.

La troisième catégorie à risque est celle des personnes déjà condamnées pour terrorisme qui seront libérées dans les mois et années à venir. Pour celles-ci, si un suivi socio-judiciaire n’a pas été prononcé, il reste néanmoins un outil dans le droit pénal: la surveillance judiciaire créée en 2008, que l’on pourrait modifier afin de l’adapter au cas des condamnés pour actes terroristes.

Reste les questions de l’opportunité de procéder de la sorte par rapport au travail de renseignement et de l’arbitrage à faire entre le principe de précaution qui commande de mettre hors d’état de nuire des personnes dangereuses et la nécessité de garder “vivantes” les cibles des services de renseignement pour ne pas se couper de l’information. Cela ne peut se décider qu’au cas par cas. Mais le penchant naturel d’un service de renseignement de ne pas “cramer” ses capteurs doit se concilier avec la nécessité de définir une politique publique préventive en matière de risques identifiés. En clair, les décideurs politiques apparaissent aujourd’hui fondés à demander une revue exhaustive des risques concernant chacun des milliers d’individus fichés pour radicalisation islamiste et, le cas échéant, leur traitement judiciaire ou administratif en urgence.

Les outils juridiques existent déjà pour ce faire, y compris “l’internement” de ces individus sous la forme plus nuancée de la fixation de la résidence du condamné en un lieu déterminé par la justice, qui peut être un centre spécialisé créé par l’autorité administrative. Et dans le respect du principe qui fait de l’autorité judiciaire la gardienne des libertés.

Télécharger la tribune parue le 29 mars 2018 dans Figarovox

tribune_prats_daury2.pdf

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