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Par Archives CERU

Le 5 avril 2021 à 17h38

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Philippe Meunier, vice-Président de la région Auvergne-Rhône-Alpes en charge de la sécurité et des partenariats internationaux et contributeur du laboratoire d’idées universitaires le CERU, dénonce une politique d’abandon de l’indépendance nationale dans le domaine de la défense.

À peine nommée ministre de la Défense, Mme Goulard théorisait le 8 juin 2017 la politique d’abandon de l’indépendance nationale dans le domaine de la défense dont elle avait pourtant la charge : « Si nous voulons faire l’Europe de la défense, il va y avoir des restructurations à opérer, faire des choix de compatibilité et, à terme, des choix qui pourraient passer dans un premier temps pour aboutir à privilégier des consortiums dans lesquels les Français ne sont pas toujours leaders. »

LES ERREURS ALLEMANDES !

En faisant ainsi « don » de la souveraineté nationale, portée pourtant par les contribuables français des décennies durant, à la construction de l’Europe fédérale qu’elle appelle de ses vœux, la doctrine « Goulard-Macron », poursuivie par Mme Parly avec toujours autant de constance délétère à l’encontre de notre indépendance, légitimait ainsi officiellement la « liquidation » programmée de la souveraineté de notre industrie de l’armement (Eurodrone, SCAF, MGCS, MAWS…). Cette doctrine est une faute politique et morale, car contraire aux intérêts du peuple français en entraînant nos industriels dans une impasse impardonnable.

Impardonnable d’abord sur le plan de la doctrine ; la Bundeswehr est une armée « l’arme aux pieds » qui attend l’hypothétique menace russe. L’armée française est une armée qui combat l’islamisme au Proche-Orient et en Afrique, qui se prépare au choc en Méditerranée orientale et dans le Pacifique. Dans le domaine de l’armement terrestre : confier le programme de char de combat à une nation dont l’armée n’a jamais fait la guerre depuis 1945 est un non-sens que l’armée de terre française paiera, notamment ses soldats, si ce programme va à son terme. Dans le domaine aéronautique : confier les deux tiers d’un programme d’avion de combat à un pays qui n’a ni dissuasion, ni porte-avions, ni armée de l’air frappant dans la profondeur, trois missions essentielles à la France, relève pour le moins de l’abandon de poste pour ne pas dire plus.

Impardonnable ensuite dans le domaine capacitaire et industriel ; l’histoire des programmes de défense allemands est une longue liste de retards, de surcoûts et de sous-performances. En comparaison, la conduite de programmes menés par la DGA, confiés ensuite à des maîtres d’œuvre expérimentés, a abouti à un modèle d’armée complet dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est le meilleur d’Europe par ses capacités, sa polyvalence et son autonomie.

La France a organisé son industrie de l’armement autour de maîtres d’œuvre de rang mondial pour garantir son autonomie stratégique. L’industrie allemande de l’armement est une courroie de transmission de l’option « tout OTAN », voulue et poussée par l’ensemble de sa classe politique, mêlant au gré de ses intérêts, syndicats, parlementaires et comités d’entreprise pour marginaliser ou déstabiliser les positions françaises pourtant supérieures en tout point en la matière. C’est un fait.

Négligeant ainsi tous les fondamentaux de la conduite d’un programme d’armement, les zélateurs de cette coopération européenne dévoyée commettent toutes les erreurs possibles pour mener ces projets à l’abîme :

– aucune convergence des objectifs diplomatiques et des doctrines permettant de conduire des programmes opérationnels,

– absence de maître d’œuvre expérimenté faute d’acteur en capacité,

– irruption incontrôlée d’acteurs tiers arrogants, alors que le char français Leclerc a montré par exemple sa supériorité en comparaison du Léopard allemand, sans parler des capacités réduites de l’Eurofighter Typhoon comparées à celles du Rafale,

– pas de budgets sanctuarisés, faute d’accord politique au sein de la classe politique allemande, y compris au sein même de la coalition au pouvoir. La France a une loi de programmation militaire assurant le financement sur le long terme de ses programmes, l’Allemagne fait planer le risque d’un dédit en raison du pouvoir de blocage du Bundestag sur les budgets de défense à chaque appel de fonds.

UN PILIER FRANÇAIS

Contrairement à la France qui a fait de l’exportation d’armement un pilier de sa diplomatie et de la pérennité de son industrie d’armement, l’Allemagne la restreint sans cesse et laisse planer un doute quant à la mise en œuvre de ces accords bilatéraux, potentiellement en opposition avec nos partenariats stratégiques. Tout cela conduit et conduira à une perte de souveraineté et de compétitivité de la France dans ce domaine industriel, pourtant un des rares qu’il nous reste, suite à la désindustrialisation qui frappe la France depuis les années quatre-vingt-dix. La voie empruntée par le gouvernement français, à la demande d’un président de la République aveuglé par son dogmatisme idéologique dont le seul but politique est l’Europe fédérale, affaiblit ainsi jour après jour notre souveraineté.

De la part des concurrents de la France, on peut comprendre leur volonté de s’approprier notre technologie que nous maîtrisons dans tous les domaines (aérien, terrestre, naval), leur capacité de maître d’œuvre étant réduite voire inexistante ; mais de la part du Président de la France et de son gouvernement, l’obstination dans la conduite d’une telle politique est gravissime.

Ce constat est largement partagé par la communauté industrielle et militaire française et par quelques-uns d’entre nous, élus opposés dès le début à cet abaissement et affaissement de la France qui a commencé avec « la loi Macron » de 2015 (fusion de Nexter avec KMW). Aujourd’hui, l’ensemble des Français opposés à cette liquidation de notre patrimoine industriel doit se mobiliser pour faire cesser cette aventure avant qu’elle ne se termine en un désastre.

Après de fausses noces qui s’avèrent être une mésalliance complète, il est urgent de replacer l’action de la France au cœur de la nécessaire sauvegarde de notre souveraineté. Pour ce faire, il s’agit de revenir aux fondamentaux en passant des accords d’État à État, sans d’ailleurs forcément limiter notre champ d’action aux seuls pays membres de l’UE.

La solution nationale s’impose et doit s’imposer une nouvelle fois et pour les mêmes raisons que le général de Gaulle avançait aux stagiaires de l’École de Guerre le 3 novembre 1959 : « Il faut que la défense de la France soit française. C’est une nécessité qui n’a pas toujours été très familière au cours de ces dernières années. Je le sais. Il est indispensable qu’elle le redevienne. Un pays comme la France, s’il lui arrive de faire la guerre, il faut que ce soit sa guerre. Il faut que son effort soit son effort. S’il en était autrement, notre pays serait en contradiction avec tout ce qu’il est depuis ses origines, avec son rôle, avec l’estime qu’il a de lui-même, avec son âme. »

La France doit préserver en national ses capacités qui font sa spécificité et assurent son rang mondial : la dissuasion, le combat terrestre de haute intensité, la supériorité aérienne et le respect de sa présence en mer. Elle en a les moyens. Il s’agit tout simplement d’en avoir la volonté.

Toute autre voie « obligeant » nos entreprises de l’armement à « brader » ce capital industriel, qui est avant tout celui des Français, relève tout simplement de la trahison à l’encontre des intérêts de la France.

Tribune publiée le 1er avril 2021 sur le site de Marianne