Après Sainte-Soline, le sabotage du site Lafarge de Bouc-Bel-Air est un pas de plus vers l’écoterrorisme.

Chronique parue le 18 décembre 2022 sur le site Atlantico

Plus d’une centaine de personnes vêtues de combinaisons intégrales blanches ont attaqué, samedi 10 décembre, en fin d’après-midi, le site de la cimenterie Lafarge de Bouc-Bel-Air, près de Marseille. Très organisées, elles ont, en une quinzaine de minutes, saboté l’incinérateur, sectionné les câbles électriques, mis le feu aux engins de chantiers présents sur le parking, éventré des dizaines de sacs de ciment et vandalisé les bureaux.

Le tout dans « une ambiance déterminée et joyeuse », précise le communiqué que les activistes ont adressé anonymement à une dizaine de sites militants et d’organes de presse d’ultragauche, singeant ainsi la façon qu’avaient les mouvements terroristes des années 70 de revendiquer leurs méfaits. Dans cette version cool, écolo et inclusive de la « bande à Baader », tout devient euphémisme. Malgré les centaines de milliers d’euros de dégâts, le texte ne parle pas de sabotage, mais seulement d’une opération de  « désarmement ». Ce néologisme permet de déculpabiliser les nouveaux militants en leur faisant croire que leurs actions bien qu’illégales s’inscrivent dans une démarche positive de « légitime défense » contre des entreprises forcément « écocidaires ». 

Mais Bouc-Bel-Air marque surtout un changement d’échelle. S’il est vrai que plus de 104 actions de sabotages ont été recensées par le ministère de l’Intérieur depuis le début de l’année en France, toutes jusque-là furent réalisées par des individus isolés ou de très petits groupes. Cette fois-ci, une véritable coordination a été nécessaire.

Rien d’étonnant à cela, car galvanisés par les évènements de Sainte-Soline fin octobre et l’impression d’avoir remporté une victoire en détruisant les canalisations d’une bassine malgré la présence importante des forces de l’ordre, de nombreux activistes avaient ces dernières semaines multiplié les appels pour que s’organisent des actions coordonnées de sabotage. Ils insistaient également sur la nécessité de passer dans la “clandestinité” pour éviter la “répression policière ». 

 » Puisque  le pouvoir se crispe sur ses ressources et ses grands projets, puisqu’il invente même le terme d’écoterrorisme pour légitimer sa traque des militant•e•s écologistes, puisqu’aujourd’hui rien ne les arrête, nous les arrêterons nous-même. Mettre en échec par les moyens adéquats les projets écocidaires d’aménagement du territoire et détruire les infrastructures qui les rendent possibles sont les seules options pour rendre le monde à nouveau désirable. Nous ne voulons pas d’éco-capitalisme colonial, d’économie de guerre ou d’une transition écologique cynique et manipulatrice »,  conclut leur communiqué. 

Une nouvelle ère de violence politique 

Pendant que les militants de Dernière rénovation ou d’Extinction Rebellion bloquent les routes, interrompent des spectacles ou des compétitions sportives, et que leurs collègues européens jettent de la purée sur les chefs d’oeuvres présents dans nos musées, une part de plus en plus importante des militants s’interrogent sur l’efficacité de ce genre d’happenings. Très influencés par les écrits de l’universitaire suédois Andreas Malm, auteur de Comment saboter un pipeline ?1, ils souhaitent dépasser les actions de désobéissance civile et revendiquent désormais la nécessité de mener des « actions directes » et de ne pas s’interdire le recours à la violence politique et au sabotage. 

En février, dans une tribune, une dizaine de collectifs d’Extinction Rebellion avaient ainsi annoncé rompre avec la philosophie non violente de leur organisation pour passer à des actions de “désarmement” et de “démantèlement” des infrastructures « climaticides ».

Cet engrenage radical est également soutenu et légitimé par des universitaires français, comme le philosophe Geoffroy de Lagasnerie qui explique, dans son livre En finir avec l’impuissance politique2, citant le philosophe allemand Günter Anders, que le seul moyen d’agir efficacement c’est « le recours à la violence – c’est-à-dire le fait de menacer physiquement ceux qui nous menacent. Agir politiquement ne doit consister ni à faire la fête, ni à nous mettre en danger, ni à nous faire souffrir nous-même. Agir veut dire : faire souffrir celles et ceux qui nous font souffrir ».

Bientôt la structuration d’un groupe autonome clandestin ?

Depuis le 28 novembre dernier, un autre texte encore plus inquiétant tourne entre les mains des plus déterminés. Il appelle à envisager l’organisation d’“un groupe autonome clandestin organisé de manière paramilitaire, sorte de nouvelle Action directe plus grande et moins meurtrière”. 

Selon une rhétorique désormais bien connue, face au risque de catastrophe écologique et à l’échec des différentes COP, l’auteur du texte insiste sur le fait de ne pas “avoir peur de poser la question de la nécessité, de la possibilité, pour nous, de l’usage planifié de la violence politique, de la lutte armée”.

Sainte-Soline et Bouc-Bel-Air constituent les prémisses d’une nouvelle ère d’un activisme qui assume le recours à la violence politique. La question est celle de savoir combien de temps ils se contenteront de ne faire que des dégâts matériels.


1 Comment saboter un pipeline, juin 2020, éditions la Fabrique

2 En finir avec l’impuissance politique, août 2020, éditions Fayard


Cette chronique a été publiée dans le cadre d’une collaboration avec le site Atlantico Chaque semaine, le CERU proposera un éclairage sur l’actualité de la contestation écologiste, intersectionnelle, woke.

L’architecture des écoles dans le viseur des « soldats du genre »

Chronique parue le 12 décembre sur le site Atlantico

1453, Constantinople est assiégée. Les autorités de la ville s’intéressent à la question du sexe des anges plutôt qu’à la défense de la cité précipitant ainsi sa chute. Aujourd’hui, c’est notre École qui est gravement menacée. Le niveau des élèves s’effondre[1], le communautarisme progresse… et voilà que désormais la question du « sexe » ou plutôt du « genre » des bâtiments scolaires focalise l’attention.

L’UNSA, l’IRES et le centre Hubertine Auclair[2] viennent de publier un guide à destination des collectivités et des acteurs de l’Éducation nationale pour les appeler à redéfinir les espaces scolaires (classe, cours de récréation, toilettes, couloirs…) en tenant compte de la question du genre.

Les espaces publics sont conçus « par et pour les hommes », soulignent les rédacteurs de ce document. « Loin d’être des espaces neutres », les collèges et les lycées ne font pas exception. Les questions de genre « influent sur les modalités d’occupation et d’appropriation de l’espace » et, ainsi, alimentent des rapports de domination qu’il s’agit de déconstruire grâce à des bâtiments et des pratiques repensés.

La taille des couloirs, l’agencement des salles de classe ou des cours de récréation, tout est scruté afin de dévoiler ces rapports de domination invisible qui sont censés structurer l’espace. Une fois mis en lumière, le moindre détail est hissé au rang d’injustice à combattre. Ainsi, les auteurs du guide s’inquiètent de l’étroitesse des portes des salles de classe, car cela peut « générer un rapport de force et de négociation pour sortir à la fin du cours, ce qui incite les filles à différer leur sortie ». Sic ! Les élèves, garçons et filles, parvenaient jusqu’à présent à sortir de cours sans trop de problèmes. Mais, la machine conceptuelle à « déconstruire » et « dénoncer » a besoin de politiser ces éléments du quotidien pour s’alimenter. Ainsi mis en avant, la largeur des portes devient un sujet politique, le symbole d’une lutte émancipatrice… qui conduit les auteurs du guide à demander le remplacement des portes dans les collèges et les lycées. Ce n’est pas cher, c’est le contribuable qui paye.

D’autres sujets sont plus délicats à traiter. En ce qui concerne les toilettes, le guide hésite. Faut-il développer une offre plus importante de toilettes pour les filles qui font de cet espace non mixte un lieu où « elles peuvent s’extraire en partie des rapports de domination qui s’exercent partout ailleurs » ? Ou doit-on proposer des toilettes neutres, car « le caractère non-mixte de ces espaces est aussi une source de violence institutionnelle pour les élèves trans et non-binaires » ? Le choix semble cornélien.

Heureusement, la pratique du foot dans la cour de récréation ne souffre pas des mêmes interrogations. Elle doit être bannie au nom de l’égalité. « Les équipements sportifs sont placés au centre, or ils sont largement monopolisés par les garçons […] tandis que les filles privilégient d’autres activités comme s’asseoir et discuter.Cette « spacialisation de la virilité » participe d’une fragmentation de la cour de récréation entre des espaces « dominants » appropriés par les garçons, et des marges dans lesquelles les filles sont reléguées. » 

Pour lutter contre cette « invisibilisation » des filles dans les cours de récréation, de nouveaux aménagements (forum, potagers…) doivent être mis en place pour empêcher les jeux de ballon. Mais, comme le souligne, les auteurs du guide, cela n’est pas suffisant, il convient également de former les surveillants à la question des « inégalités spatiales de genre », car sinon le risque est grand de voir des « cours de récréation sans terrains de foot où les garçons installent des buts de fortune ».

Pour s’émanciper de la prétendue domination spatiale entre les genres, imposer de tels investissements (modification du mobilier et de l’architecture des établissements) et interdire la pratique du sport loisir, comme le foot, à l’école, il faut l’avouer : c’est radical ! 

Par Olivier Vial

Directeur du CERU, le laboratoire d’idées universitaire en charge du programme de recherche sur les radicalités 

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Cette chronique a été publiée dans le cadre d’une collaboration avec le site Atlantico Chaque semaine, le CERU proposera un éclairage sur l’actualité de la contestation écologiste, intersectionnelle, woke.


[1] La France est désormais avant dernière des pays de l’OCDE en maths et en sciences, selon le dernier classement Timms.

[2] L’UNSA, deuxième syndicat dans l’Éducation nationale, l’Institut de recherches économiques et sociales, le laboratoire d’études qui rassemble l’ensemble des centrales syndicales française et le centre Hubertine Auclair, l’organisme de la région Ile-de-France en charge de l’égalité femmes-hommes.