Les menaces de dissolution ont renforcé Les Soulèvements de la Terre 

Lundi 5 juin au matin, la sous-direction antiterroriste de la Direction centrale de la police judiciaire (SDAT) a mené une opération sans précédent contre des militants proches des Soulèvements de la Terre. Des perquisitions furent menées simultanément à Marseille, Montreuil, Dijon, Lyon, Toulouse, Bayonne ainsi que dans deux communes du Tarn-et-Garonne, Caylus et Verfeil-sur-Seye. Quatorze activistes furent interpellés et placés en garde à vue. Dans le cadre des actions menées par la SDAT, celles-ci peuvent durer 96 heures au lieu des 48 heures prévues dans une procédure classique. Certains militants n’en sont d’ailleurs sortis que vendredi matin. 

Ces arrestations font suite à l’envahissement, en décembre 2022, par 200 militants d’une usine Lafarge, à Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône[1]). Ces derniers avaient vandalisé de nombreuses machines causant pour quatre millions d’euros de dégâts. Les images d’activistes masqués en combinaison blanche s’en prenant méthodiquement aux installations présentes sur le site avaient déjà tout pour marquer l’opinion. 

Mais, c’est le 25 mars dernier que le grand public a réellement découvert ce mouvement. Ce jour-là, à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, des affrontements extrêmement violents ont opposé pendant plusieurs heures les forces de l’ordre à 25 000 activistes, dont certains avaient fait le déplacement de l’étranger pour participer à cette bataille des « méga-bassines ». Quelques jours après, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin annonçait la dissolution des Soulèvements de la Terre. Près de trois mois plus tard, le mouvement est toujours actif et plus fort que jamais. 

Menaces de dissolution, interpellations… tout ce qui ne les tue pas les rend plus forts. 

On ne dissout pas un soulèvement proclame, dans un livre[2] qui vient de paraître, 40 auteurs (scientifiques, activistes, artistes…) proche du collectif. Plus prosaïquement, c’est l’organisation de ce mouvement qui rend très difficile une procédure de dissolution. Sans base légale ni statut associatif, les Soulèvements de la Terre prennent la forme d’une hydre insaisissable disposant de plusieurs centaines de têtes (ONG, Partis politiques, collectifs, syndicats, mouvements climats, universitaires…). Entre elles, nul lien juridique, juste un objectif partagé : la lutte contre « l’accaparement » des terres et de l’eau. C’est par un appel lancé depuis la ZAD de Notre-Dame des Landes, le 24 janvier 2021, que le mouvement est né. Depuis, il ne cesse de croître. Leur première action le 27 mars 2021 avait rassemblé 650 personnes. Deux ans plus tard à Sainte-Soline, ils étaient 40 fois plus nombreux. 

Les menaces de dissolution ont, contrairement à ce que devait espérer Gérald Darmanin, dopé la croissance du mouvement. Désormais, il dispose de 170 comités locaux et d’une base de mobilisation par mail d’au moins 102 000 personnes[3]. Dans une note de mars 2023, rendue publique par le site Reporterre, les Renseignements territoriaux soulignaient que « le noyau dur des SLT, composé initialement de stratèges d’ultragauche, s’est progressivement élargi à des militants issus de collectifs environnementaux comme Extinction Rébellion […] ; ce mouvement a su incarner le concept de transversalité des luttes, en rassemblant associations, syndicats et mouvements écologistes autour de combats communs ». Depuis, il continue à étendre ses ramifications en agglomérant autour de lui toutes les contestations actuelles. Dans le livre qui vient de paraître, on retrouve ainsi des contributions des Naturalistes de la terre qui, dans une logique très antispéciste, milite pour « fédérer les communautés humaines et non humaines [4]» dans le combat, ou dans un autre registre l’article de Malcom Ferdinand, l’un des héraults en France de l’écologie décoloniale qui prévient : « Les soulèvements de la terre seront décoloniaux ou ne seront pas »[5]. Quant à l’inénarrable Françoise Vergès, elle voit dans cette lutte la continuité de celle contre « la stigmatisation des femmes voilées, l’islamophobie, le racisme structurel, la chasse aux refugié·es ». Même la très confidentielle Queer écologie est mobilisée en soutien. Cy Lecerf Maulpoix, auteur d’Écologie déviante, voyage en terre queer, invite ainsi les militants à ne pas considérer les queers comme « des terrestres de seconde zone »[6] et à ne pas oublier dans leur combat commun que « le vivant a toujours été queer »[7]

Que ce soit sur les thèmes (écoféminisme, écologie décoloniale, anticapitalisme, anarchisme, défense de la biodiversité, antispécisme, queer écologie…), ou sur les méthodes et notamment sur l’usage de la violence, la force de ce mouvement est de pouvoir additionner des traditions militantes qui jusqu’ici avaient du mal à coexister.  L’objectif n’est pas de tenter de synthétiser les positions de chacun (tous gardent leurs propres mots d’ordre), mais seulement de coaliser les forces pour imposer la décroissance. 

La violence légitimée et banalisée 

Pour parvenir à ces fins, toutes les méthodes deviennent acceptables, même les plus extrêmes. Le sabotage rebaptisé « désarmement[8] », comme la confrontation physique font partie de l’arsenal à disposition. Un activiste dénommé Blue note explique ainsi que sur le terrain la stratégie n’a pas vocation à être unique. Chacun joue sa partition selon sa tradition et son niveau de colère. « Chaque force prise isolément fait face à sa propre impasse : frénésie activiste, localisme, cogestion syndicale, fétichisme de l’émeute, etc. Mais parce que ces forces jouent ensemble, des déplacements et des dépassements adviennent. Elles le font sans chercher à se convaincre ou se convertir, mais dans l’écoute attentive, depuis une sensibilité au diapason. Parfois, des voix se mettent en sourdine, laissent de l’espace à celles qui jouent fortissimo, avant de reprendre en chœur. Les voix des Soulèvements s’efforcent toujours d’éviter la cacophonie des dissociations et des oppositions binaires par un art subtil des accords et des arrangements. Elles éprouvent ainsi l’harmonie des dissonances, comme la note bleue dans le jazz »[9].  Que c’est bien dit ! Quel art de l’euphémisme ! Une « note bleue » pour désigner un militant qui attaque au chalumeau les forces de l’ordre, comme ce fut le cas à Sainte-Soline ou Léna Lazare, porte-parole des Soulèvements de la Terre qui profite d’une émission de France Inter[10] pour nous avertir que l’on n’évitera pas au cours des prochaines années la question de l’utilisation de bombes ! Sic !.

Un été à l’offensive 

Les Soulèvements de la Terre ont annoncé une accélération du nombre de leurs actions. Ce week-end, ils s’attaquent à un projet de carrière à Saint-Colomban. La semaine suivante, ils investiront la Maurienne pour s’opposer à la ligne de fret ferroviaire entre Lyon et Turin. Au cours du mois d’août, ils participeront à un rassemblement sur le plateau du Larzac (petit moment nostalgie) avant de lancer un convoi de l’eau qui partira de Sainte-Soline pour rejoindre Paris. 

Au-delà de ces actions « classiques », les Soulèvements innovent et grâce à leur nouvelle implantation sur le terrain, ils ont récemment lancé un appel à des actions décentralisées, le nom de leur opération : « 100 jours pour les sécher ». Ils viennent également de diffuser une liste de cibles (entreprises, exploitations agricoles, collectivités…) et des kits d’actions. « Il nous appartient de prendre les mesures vitales qui s’imposent, de passer à l’action, de jour comme de nuit, à 10 comme à 100. D’imaginer ensuite les modes d’action pour leur en faire voir de toutes les couleurs : par des rassemblements annoncés et des actions inopinés, des blocages, des occupations et des surgissements, un carnaval pour les désarmer. L’année dernière, tout l’été, les actions anti-sécheresse se sont multipliées. Cet été sera encore celui de la créativité et de l’audace : couper l’eau aux accapareurs, mettre des terrains de golf hors d’état de nuire, démanteler des mégabassines, squatter les piscines des ultra-riches ou les bureaux climatisés des assureurs, casseroler les décideurs, construire des barrages de castors pour refaire vivre nos rivières et leurs berges, notre inventivité ne doit pas avoir de limites ! »[11].

L’été promet d’être chaud et ce quelle que soit la météo.


[1] Nous avions évoqué cette action lors d’une précédente chronique. https://atlantico.fr/article/rdv/apres-sainte-soline-le-sabotage-du-site-lafarge-de-bouc-bel-air-est-un-pas-de-plus-vers-l-ecoterrorisme-environnement-ecologie-wokisme-militants-woke-violence-politique-olivier-vial.

[2] On ne dissout pas un soulèvement, 40 voix pour les Soulèvements de la terre, éditions du Seuil, 9 juin 2023.

[3] C’est le nombre de signataires de l’appel « Nous sommes les Soulèvements de la terre ».

[4] On ne dissout pas un soulèvement, 40 voix pour les Soulèvements de la Terre, éditions du Seuil, 9 juin 2023, p. 108

[5] Ibid. p. 111.

[6] Ibid. p. 123.

[7] Ibid. p. 121.

[8] Le terme est revendiqué pour la première fois le 29 juin 2021, à la suite de l’occupation simultanée de quatre cimenteries par Extinction Rebellion et Les Soulèvements de la Terre. 

[9] Ibid. p. 49.

[10] La terre au carré, 8 juin 2023.

[11] https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/100-jours-pour-les-secher