REPLAY | Web rencontre avec Philippe Fontana, la vérité sur le droit d’asile

Philippe Fontana, avocat au barreau de Paris et auteur de La vérité sur la droit d’asile reviendra pour nous sur les failles de ce système couteux, dévoyé et instrumentalisé par des structures militantes.

Corollaire de l’immigration, la question du droit d’asile est de plus en plus préoccupante. En France, si chaque année la plupart des 150 000 demandeurs sont déboutés, la majorité demeure sur le territoire avec la complicité d’un système qui les encourage à venir et, surtout, à rester. Conséquences : un coût exorbitant pour l’État – près de 1 milliard d’euros –, la désorganisation des centres d’hébergement d’urgence destinés aux plus précaires, la saturation des hôpitaux, la découverte, parfois, d’éléments terroristes. Les textes de lois ont beau se succéder, les obstacles sont aujourd’hui trop nombreux pour changer efficacement ce système?: jurisprudence délétère des cours européennes et nationales, lenteur de l’instruction des dossiers, prise en charge matérielle déléguée par l’État à des associations cogestionnaires, porosité des frontières exploitée par des passeurs et des militants… 

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Toutx va très bien mixe lu Marquis.e !

Le Français va très bien, merci ![1] titre le collectif Les linguistes atterrés dans un manifeste qui vient d’être publié dans la collection Tracts de Gallimard. Ces spécialistes s’agacent des « idées fausses » que diffuseraient les « puristes » du français correct, incapables, selon eux, de faire « la différence entre une faute et une évolution ». Pour défendre un usage plus ouvert de notre langue, ils nous somment d’accepter, sauf à rejoindre les rangs de ces affreux conservateurs, que « le français n’est plus la langue de Molière », que « l’écriture numérique n’@bime pas le français », que « le Franglais n’existe pas » ou encore que l’écriture inclusive ne fait pas courir un péril mortel à notre la langue, comme l’affirme l’Académie française. Si, nous reconnaissons bien volontiers qu’une langue figée, incapable d’accueillir de nouveaux termes et de s’adapter dans le temps aux usages de ses locuteurs est une langue morte ; trop d’éléments récents nous empêchent d’entonner avec Les linguistes atterrés l’air de « tout va très bien, Madame la Marquise ».   

L’effondrement du niveau des élèves de CM2 en orthographe n’est pas un fantasme. Une enquête[2] publiée en décembre par le ministère de l’Éducation nationale révèle que le nombre d’erreurs sur une même dictée a doublé depuis 1987. Il est vrai que les heures consacrées à l’enseignement du français entre le primaire et le collège ont été réduites de plus de 522 heures sur l’ensemble de la scolarité d’un élève entre 1968 et 2015[3]. La tendance ne s’est malheureusement jamais inversée. Si nos linguistes ne contestent pas directement ce constat, ils en minimisent l’importance. Leurs solutions ? Casser le thermomètre en supprimant la pratique des dictées et généraliser l’usage, y compris à l’école, des logiciels de correction orthographique. Ils reconnaissent pourtant que l’orthographe n’est pas inutile puisqu’elle « permet à tous et à toutes de partager un code graphique commun »[4]. Voilà le danger, laisser se dissoudre tout ce qui nous est commun ! Les attaques récentes contre notre langue visent à la politiser, à l’instrumentaliser dans des combats identitaires. L’universel s’efface devant le communautarisme.

Le développement de l’écriture inclusive en est la parfaite illustration. Sami Biasoni, qui a dirigé Malaise dans la langue française[5], souligne que cette écriture introduit une rupture majeure et préjudiciable à un débat public ou scientifique apaisé. La langue n’est plus le véhicule neutre des idées. En effet, selon que vous utilisiez ou non cette graphie, avant même d’avoir échangé un argument, vous êtes classé dans le camp du progrès ou dans celui de la réaction. La discussion est immédiatement faussée. C’est une assignation à résidence idéologique ! Alors, quand la ministre de l’Enseignement supérieur cautionne l’utilisation de cette écriture dans des sujets d’examens, comme cela a été le cas récemment à l’université Lyon 2 (avec un encouragement à répondre également sous cette forme), en affirmant que c’est l’expression de la liberté académique[6] de chaque enseignant, elle méconnaît gravement la réalité du projet politique sur lequel celle-ci repose.

Le point médian, par exemple, n’a pas seulement vocation à décliner le féminin et le masculin, il poursuit également un rôle plus militant. Il déstabilise le regard qui n’y est pas habitué. Il bouleverse l’ordre. Les activistes du genre appellent cela, introduire « le tumulte ». 

D’Edward Saïd à Elsa Dorlin, la tradition du tumulte vise à porter le débat politique dans une dimension dans laquelle on ne l’attend pas. En bouleversant la langue en la rendant irrégulière, on la politise. Le point médian, l’application de nouvelles règles de grammaire, le recours à des pronoms neutres comme « iel » ou « celleux » sont quelques-unes des pratiques qui, pour les héraults de la théorie du genre, permettent de « bousculer l’évidence du genre » et d’imposer leur nouvel imaginaire. Une fois la dynamique de déconstruction enclenchée, rien ne doit l’arrêter. En effet, la pratique du tumulte comme de la provocation nécessite une réinvention permanente, à défaut de quoi le public risque en s’habituant aux formes proposées de ne plus vraiment les remarquer. Elles perdraient aussitôt leur pouvoir subversif. C’est ainsi que le sujet d’examen de l’université Lyon 2, ne s’est pas contenté de l’usage du point médian – déjà trop consensuel – mais a inventé de nouveaux mots pour les dégenrer totalement ; « touz » remplace « tous et toutes », « al » est utilisé à la place de « il ou elle »… La boîte de pandore est ouverte… la surenchère n’est pas près de s’arrêter et notre langue va en souffrir. 

Dans leur argumentation, Les Linguistes atterrés expliquent que la langue évolue en fonction de son usage, à travers le temps. Soit ! Mais, pour l’écriture inclusive, le schéma est radicalement différent. Elle nous est imposée par des militants. Ce ne sont pas les Français qui font le choix de l’utiliser. Au contraire, en mars 2023, l’IFOP et Havas Paris ont publié une étude sur la perception de certains concepts « woke ». Alors que la cancel culture, l’écriture inclusive et la discrimination positive gagnent en notoriété, leur approbation semble en revanche s’essouffler. En effet, l’écriture inclusive ne recueille plus que 30 % d’approbation. En 2017, un sondage Harris Interactive établissait que 75 % des Français y étaient favorables. Plus ces derniers constatent à quoi ils ont à faire, plus ils s’en détournent. Le développement de l’écriture inclusive n’est donc clairement pas le résultat d’une évolution naturelle de la langue. C’est la conséquence d’un putsch mené par des activistes qui savent très bien ce qu’ils font.

Quant à Molière… Nos linguistes nous invitent à nous détourner de ce totem qui ne serait plus représentatif. Il est indiscutable que la langue a évolué depuis le 17° siècle. Pourtant Molière est resté tellement moderne qu’il avait déjà dénoncé, dans les Femmes Savantes, la « cancel culture » et les « sensitivity reader » qui censurent, réécrivent et interdisent l’usage de certains mots :

« Pour la langue, on verra dans peu nos règlements,

 Et nous y prétendons faire des remuements,

Par une antipathie ou juste, ou naturelle,

Nous avons pris chacune une haine mortelle

pour un nombre de mots, soit ou verbes ou noms,

que mutuellement nous nous abandonnons,

contre eux nous préparons de mortelles sentences,

Et nous devons ouvrir nos doctes conférences

Par les prescriptions de tous ces mots divers,

 dont nous voulons purger la prose et les vers » [7].

Tout était dit ! Aujourd’hui, nous avons plus que jamais besoin de lui pour comprendre les folies de notre époque. Alors, le français a été, est, et restera la langue de Molière !


[1] Les linguistes atterrés, Le Français va très bien !, collection Tracts, éditions Gallimard, mai 2023, 66 p.

Ce collectif a fait le choix militant d’appliquer dans sa rédaction l’accord de proximité, ainsi que l’invariabilité du participe passé des verbes conjugués avec avoir.

[2]https://www.education.gouv.fr/les-performances-en-orthographe-des-eleves-de-cm2-toujours-en-baisse-mais-de-maniere-moins-marquee-343675

[3] Selon le collectif d’enseignant Sauvons les lettres.

[4] Les linguistes atterrés, Le Français va très bien !, p. 27.

[5] Sami Biasoni, Malaise dans la langue française, éditions du CERF, septembre 2022.

[6] https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/sylvie-retailleau-sur-l-ecriture-inclusive-nous-ne-remettrons-jamais-en-cause-la-liberte-academique-20230525#

[7] Réplique d’Armande, Scène II, Acte III, Les femmes savantes, Molière.

Menaces, violences… tous les coups sont permis pour asseoir l’emprise de l’ultragauche sur l’université

Menaces, pressions, annulations… l’université est devenue un terrain de combat. En quelques jours, une conférence sur Le Frérisme et ses réseaux[1] que devait donner l’anthropologue et chercheuse au CNRS, Florence Bergeaud-Blackler a été annulée à la Sorbonne[2]. Ses travaux universitaires sur l’influence de certains courants de l’islam radical lui ont valu de telles menaces de mort qu’elle est, désormais, obligée de vivre sous protection policière. À Grenoble, ce sont deux étudiants de l’UNI qui viennent, à leur tour, d’être menacés de mort dans un tag peint sur les murs de leur campus. L’extrême gauche leur reproche de ne pas soutenir la proposition de « 10 améliorable » qui consiste à garantir une note supérieure à la moyenne à tous les étudiants lors des partiels. Dans cette version moderne de la cigale et la fourmi, la cigale antifa qui a bien bloqué et manifesté toute l’année n’a toujours aucune envie de réviser. Elle estime toutefois qu’elle serait injustement discriminée si elle décrochait de moins bonnes notes que les étudiants ayant travaillé. Pour obtenir ce qu’elle veut, la cigale a délaissé le chant et la danse pour pratiquer le coup de poing et l’intimidation.

Quelques soient les raisons, la sentence est la même. L’objectif n’est plus de convaincre, de confronter ou de réfuter des arguments – ce à quoi, conformément à la démarche scientifique, est prête Florence Bergeaud-Blackler à propos de son livre[3] -, mais de s’imposer comme la seule personne légitime à parler.  Dans un entretien sur France Inter, le philosophe Geoffroy de Lagasnerie avoue que son but et celui « de la gauche c’est de produire des fractures, des gens intolérables et des débats intolérables dans le monde social ».  Il poursuit : « je suis contre le paradigme du débat contre le paradigme de la discussion. Je pense que nous perdons notre temps lorsque nous allons dans des chaînes d’info à débattre avec les gens qui sont de toute façon inconvaincables et qu’en fait nous ratifions la possibilité qu’ils fassent partie de l’espace du débat. Je pense qu’effectivement la politique est de l’ordre de l’antagonisme, de la lutte et j’assume totalement le fait qu’il faut reproduire un certain nombre de censures en vérité dans l’espace public pour rétablir un espace où les opinions justes prennent le pouvoir sur les opinions qui ne le sont pas ». Voilà qui a le mérite de la clarté ! Le débat d’idées ressemble dès lors aux combats de sumo, dont l’objectif serait de pousser ses adversaires hors du cercle de la raison ou de la respectabilité. Les candidats au bannissement se multiplient à mesure que s’étend le champ de ce qu’il est interdit de dire ou de penser. Avec la notion d’antifascisme du quotidien (que nous avons présenté dans une précédente chronique), Mark Bray avait déjà popularisé une définition extensible à l’infini de ce qui peut être qualifié de fasciste. Désormais, s’ajoute à elle les milles et une micro-agressions que peuvent ressentir les militants wokes. L’actuel ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada, Steven Guilbaut, apôtre de cette nouvelle religion, avait précisé, dès 2019, que « notre droit s’arrête là où la blessure de quelqu’un d’autre commence »[4]Tout un programme ! Cette semaine, après la manifestation du GUD dans les rues de Paris, le gouvernement français a lui aussi fait le choix d’allonger la liste de ce qui est prohibé. En demandant aux préfets d’interdire tous les évènements liés à l’ultradroite[5], même s’ils ne donnent pas lieu à des troubles à l’ordre public, Gérald Darmanin a ouvert une nouvelle boîte de pandore. Élisabeth Borne avait pourtant essayé de rappeler que si ce rassemblement l’avait « choquée », en l’absence de troubles, la République devait avant tout garantir la liberté de manifestation. Après une campagne médiatique orchestrée par la gauche, la Première ministre a perdu son arbitrage et la liberté d’expression encore un peu de sa force. 

Où s’arrêtera-t-on désormais si on proscrit tout ce qui peut choquer quelqu’un ? Si nous en sommes à nous poser ce genre de question, c’est que la stratégie décrite par Geoffroy de Lagasnerie est malheureusement très efficace. Avec le sociologue Didier Eribon et le romancier Patrick Louis[6], ils tentent, depuis dix ans, d’enrégimenter les sciences sociales et une partie de l’édition dans leur combat manichéen. Ce « trouple », que l’université d’Harvard[7] présente comme l’avenir des intellectuels français, la relève de « la French Theory », a bien compris le rôle qu’il doit jouer dans les universités. Dans un livre paru en 2020, Sortir de notre impuissance politique, Geoffroy de Lagasnerie explique que la stratégie la plus efficace consisterait « à dépenser moins d’énergie dans la confrontation avec celles et ceux que nous ne changerons jamais pour tenter à l’inverse d’influencer les cerveaux de celles et ceux qui, dans quelques années, accéderont au pouvoir. Pour le dire de manière ordinaire : lorsque nous sommes en désaccord avec une mesure, est-il plus efficace d’aller manifester devant un ministère ou d’aller parler dans un lycée ? ». Il ajoute que c’est pour cela que « la conquête du pouvoir universitaire (et, évidemment, la transformation radicale de la recherche et de l’enseignement tels qu’ils se pratiquent) est si importante pour la gauche. » Car, rappelle-t-il : « On oublie souvent que l’institution qui détient un quasi-monopole sur la formation des structures mentales d’une société et surtout des individus qui occupent des positions de pouvoir c’est l’Université ». C’est ainsi que cette dernière est devenue le champ de bataille dans laquelle la gauche la plus sectaire a investi toutes ses forces. Son but : pousser en dehors de l’institution (par la violence, la lassitude ou le découragement) tous ceux qui pourraient contester son emprise sur ces futurs cerveaux malléables[8]. Jusqu’à présent, ils ont avancé en terrain quasiment conquis. Rares furent ceux qui s’opposèrent à eux et résistèrent comme les militants de l’UNI ou Florence Bergeaud-Blackler. Frédérique Vidal, l’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur a battu en retraite dans son combat contre l’islamogauchisme sans même le mener. Sylvie Retailleau, qui lui a succédé à ce poste, n’a pas eu un mot pour condamner la conférence du terroriste d’extrême gauche Jean-Marc Rouillan à l’université de Bordeaux. Le combat pour la liberté d’expression et les libertés académiques ne mérite-il plus d’être livré ? 


[1] Le Frérisme et ses réseaux, l’enquête, de Florence Bergeaud-Blakler, éditions Odile Jacob, 2023.

[2] Suite à la forte polémique causée par cette décision, l’université a annoncé que la conférence serait reprogrammée le 2 juin. 

[3] C’est ce qu’elle a déclaré dans une interview sur Europe 1.

[4] Cité par Mathieu Bock-Côté in La révolution racialiste et autres virus idéologiques, édition de La cité, 2021, p. 159.

[5] Le tribunal administratif de Paris a d’ailleurs fini par suspendre l’arrêté préfectoral qui interdisait le colloque organisé par l’Action Française. Il a même condamné l’État à verser 1500 euros à l’association royaliste. 

[6] Ils ne sont bien entendu pas les seuls, mais ensemble ils ont acquis une véritable notoriété dans les sphères militantes et à l’international. 

[7] Le Monde, 10 août 2018.

[8] Selon l’expression utilisée par Geoffroy de Lagasnerie sur France Inter

Avec Rama Yade, le révisionnisme historique est pavé de bonnes intentions

Chronique publiée le 7 mai sur Atlantico

Les pyramides égyptiennes bénéficiaient-elles d’un réseau électrique, comme l’a affirmé Maître Gims à ses 11 millions d’abonnés ? Peut-être pas, répond prudemment l’ancienne secrétaire d’État, Rama Yade, avant de s’engager dans une véritable plaidoirie en défense. Dans une vidéo, elle suggère que les propos du rappeur, reprochant également aux historiens de cacher cette vérité[1], n’ont fait polémique qu’en raison de l’incapacité d’une partie des Français à accepter l’idée d’un leadership africain. La France ferait ainsi preuve de racisme structurel. Une accusation qu’elle avait formulée dès 2021, allant jusqu’à présenter les déboulonneurs de statues comme les véritables défenseurs de l’Histoire, de « la totalité de l’histoire qu’ils connaissent bien, eux, au moins, celle que la mémoire sélective de certains de nos dirigeants a voulu dissimuler »[2]

Une histoire officielle et raciste s’emploierait donc à effacer le rôle majeur qu’a joué l’AfriqueCette rhétorique se diffuse désormais rapidement sur les réseaux sociaux. Ainsi, l’idée que les troupes de Napoléon auraient détruit le nez du sphinx de Gizeh[3] pour effacer la preuve que le pharaon avait un nez épaté et qu’il était noir y prospère. Cette thèse s’est d’abord développée dans les milieux suprémacistes noirs, où Louis Farrakhan, par exemple, le très radical leader de Nation of Islam, déclarait : « La suprématie blanche a poussé Napoléon à souffler le nez du Sphinx parce qu’il vous rappelait trop la majesté de l’homme noir »[4]Alors, quand pour défendre Gims, Rama Yade nous invite à relire Joseph Ki-Zerbo, le lauréat 2000 du prix Kadhafi des droits de l’Homme[5], elle nous entraîne sur le chemin de l’instrumentalisation de l’Histoire inscrite au cœur de l’afrocentrisme. Ce courant politico-intellectuel est une forme d’ethnocentrisme qui attribue une place centrale et supérieure aux Africains subsahariens aux dépens des autres cultures. Pour cela, il doit imposer son récit. L’un des premiers combats de ces activistes mémoriels va naturellement se porter sur l’Égypte. Dans l’Histoire générale de l’Afrique[6], que Rama Yade cite également, Cheikh Anta Diop, intellectuel et homme politique sénégalais, va tenter de prouver que les Égyptiens étaient en réalité noirs de peau et de type africain. Sa démonstration est si peu convaincante que, dans ce même livre, un chapitre est entièrement consacré aux nombreuses critiques formulées à l’époque par les égyptologues. Si, dès le début, cette thèse est contestée ; aujourd’hui, elle est explicitement invalidée par la science. En 2017, une équipe internationale de chercheurs est parvenue à séquencer l’ADN de 90 momies. Les résultats[7] sont sans appel : ils révèlent « des liens étroits avec les habitants du Proche-Orient de l’époque, plus qu’avec ceux de l’Afrique subsaharienne ». Mais finalement qu’importe la vérité ! L’ancienne ministre explique que sa défense de Gims concerne moins la lettre que l’esprit de ses propos. Elle ne le fait pas pour rétablir la vérité, mais pour que leurs « enfants n’aient pas à raser les murs, et qu’ils marchent la tête haute. » Il s’agit de proposer une version réparatrice, thérapeutique de l’histoire, dont l’objectif premier est d’assouvir le besoin de reconnaissance de chaque communauté. C’est pourquoi, insiste-t-elle, prétendre que les Égyptiens étaient noirs et qu’ils disposaient dès le deuxième millénaire avant notre ère de l’électricité ne méritait pas autant de quolibets, car cela a été dit avec de bonnes intentions : « Tu as juste voulu corriger une injustice, réparer les Africains dans leur dignité », finit-elle par déclarer à Gims.  

Les décolonialistes ne cherchent pas à faire découvrir les héros africains ni à transmettre les belles pages de l’Histoire du continent. Il s’agit pour eux, avant tout, de « déconstruire l’empire cognitif impérial »[8], car c’est dans ce mouvement de « réécriture de l’Afrique » que réside l’essence du « processus décolonial »[9]. C’est pourquoi ils ne vont pas s’intéresser à combler les lacunes, forcément existantes, de l’Histoire mondiale, ils vont chercher à en imposer une version alternative dans laquelle ils s’attribuent les premiers rôles. Ainsi, Mary Lefkowitz dans Not out of Africa (1996) propose les« « preuves » témoignant de la couleur noire de la peau de Socrate, de Cléopâtre et d’autres… »[10]. Les descendants d’Africains sont également invités à « apprendre à désapprendre », ce qui « implique d’oublier ce que l’on nous a appris, de se libérer des programmes de pensée qui nous sont imposés par l’éducation, la culture et l’environnement social, toujours marqués par la raison impériale occidentale »[11].

La vérité, la rationalité, l’objectivité doivent s’effacer devant d’autres valeurs : l’antiracisme, la lutte contre le patriarcat, le décolonialisme… Comme nous l’avions déjà abordé dans une précédente chronique, avec le concept d’objectivité forte, Sandra Harding[12] a affirmé la primauté des objectifs de transformations sociales et politiques sur ceux de l’objectivité et de la rationalité scientifique. C’est ce même phénomène que traverse le champ des études historiques depuis le milieu des années 50. 

Dans un premier temps, avec les travaux de Joseph Ki-Sorbo et de Cheikh Anta Diop, la réécriture de l’Histoire a été mise au service d’un projet politique, celui des indépendances et de la décolonisation. Puis c’est au nom d’une forme de communautarisme que ce travail s’est perpétué. Sur le plan académique, maintenant, « tout se passe comme si chaque communauté devait avoir dit sa vérité. Le risque existe de voir se généraliser une « contre-tradition » scientifique qui ne serait plus d’inspiration universaliste, qui posséderait un discours spécifique, ses propres références, ses propres réseaux de diffusion et de vulgarisation des savoirs, son propre public, sa propre légitimité »[13], nous prévenait, dès 2010, un collectif d’universitaires dans un ouvrage sur l’afrocentrisme. Désormais, la machine s’emballe. Pour soulager les sensibilités identitaires et encourager l’estime de soi des personnes « racisées », le passé doit être corrigé, modifié. Si Netflix est capable d’adapter le casting de ses séries pour que Cléopâtre soit noire, pourquoi la vérité ne pourrait-elle pas faire de même ?[14]. Avec cette fièvre woke et ce relativisme généralisé, l’Histoire ne sera bientôt plus qu’un baume destiné à soulager les ressentis identitaires et les démangeaisons causées par de prétendues micro-agressions. 


[1] « À l’époque de l’Empire de Koush il y avait de l’électricité. Les pyramides qu’on voit, au sommet c’est de l’or ! L’or est le meilleur conducteur pour l’électricité. C’étaient des foutues antennes et les historiens le savent ».

[2] L’Express, 19 novembre 2021. 

[3] En réalité, le nez du Sphinx a été détruit au XIVe siècle par un Sultan qui refusait ce symbole païen.

[4] Conférence de Louis Farrakan, 16 octobre 1995, point 144.

[5] Louis Farrakhan avait obtenu ce même prix en 1996, tout comme le révisionniste français Roger Garaudy en 2002.  

[6] Cet ouvrage, réalisé sous le patronage de l’UNESCO, en 11 volumes, a commencé à être publié en 1964. C’est dans le second volume qu’est traitée la question égyptienne. 

[7] https://www.courrierinternational.com/article/genetique-ladn-des-momies-devoile-lascendance-des-egyptiens-de-lantiquite

[8] Sabelo J. Ndlovu-Gatsheni, [2021], p. 462.

[9] Ibid., p. 449.

[10] François-Xavier Fauvelle-Aymard, Jean-Pierre Chrétien, Claude-Hélène Perrot, [2010], Afrocentrisme, Hommes et sociétés, éditions Karthala.

[11] M. V. Tlostanova et W. D. Mignolo, [2012] Learning to Unlearn: Decolonial Reflections from Eurasia and the Americas, Colombus, Ohio State University Press, p. 7, cite in Sabelo J. Ndlovu-Gatsheni, [2021], p. 471.

[12] https://atlantico.fr/article/rdv/discredit-des-sciences-et-si-ce-n-etait-la-faute-ni-des-jeunes-ni-des-reseaux-sociaux-mais-celle-des-sorcieres-olivier-vial

[13] François-Xavier Fauvelle-Aymard, Jean-Pierre Chrétien, Claude-Hélène Perrot, [2010], Afrocentrisme, Hommes et sociétés, éditions Karthala, p. 21.

[14] Avant la plateforme vidéo, la marque de bière Budweiser, pour séduire une partie de la communauté afro-américaine, avait édité une campagne de publicité sur le thème « The Great Kings and Queens of Africa ». « On y trouve d’improbables images de Néfertari et Cléopâtre noires », nous signale l’égyptologue Charles Vanthournout. https://theconversation.com/debat-legypte-noire-est-elle-une-imposture-199439