Blocages universitaires : modifier la loi pour faciliter l’intervention de la police

Une fois encore, les universités françaises ont été le théâtre de violences et de blocages. Pendant plusieurs mois, une dizaine d’universités se sont retrouvées bloquées et vandalisées en raison du mouvement de protestation contre la loi « ORE » Orientation et réussite des étudiants.

Des centaines d’examens ont dû être reportés, délocalisés, ou encore totalement annulés comme à Nanterre et Paris I. Le montant des dégradations s’élève à plusieurs millions d’euros. Ces blocages sont-ils une fatalité en France ?

Interventions partielles des forces de l’ordre

Pour faire lever ces blocus, les forces de l’ordre, sur réquisition des présidents d’université, sont intervenues cette année dans plusieurs universités : Nantes, Lille, Rennes II, Paris I, Toulouse II, Paris X ou encore Grenoble.

Malheureusement, ces interventions se sont souvent longuement faites attendre, laissant quartier libre aux « bloqueurs » pour saccager les bâtiments et empêcher les cours et les activités de recherche de se tenir durant de longues semaines.

Mais, lorsque le président d’université ne prend pas ses responsabilités et refuse de faire appel aux forces de l’ordre, la situation est encore plus difficile. L’immobilisme des autorités universitaires est alors perçu comme un blanc-seing permettant de poursuivre les actions de blocages. S’il existe bien la possibilité pour des usagers de l’université de former un recours administratif afin d’exiger que le président de l’Université agisse,c’est notamment ce qu’à fait le syndicat universitaire UNI avec succès contre le Président de l’université Toulouse 2, cette procédure n’aboutit pas toujours. Les recours déposés contre les présidents d’université à l’occasion des blocages de 2007 avaient tous été rejetés.

Souvent, les présidents d’universités sont récalcitrants quant à l’intervention des forces de l’ordre. Ils motivent leur décision de ne pas agir par la peur d’un incident. Les interventions policières à Tolbiac comme à Toulouse ont démontré, au contraire, le professionnalisme de nos forces de l’ordre. Ces dernières ayant réussi à débloquer des sites universitaires en quelques dizaines de minutes et sans aucun incident.

En réalité, il semble que les présidents d’université redoutent surtout des conséquences politiques. Il faut savoir que les présidents d’université sont élus par la communauté universitaire et notamment par des syndicats qui cautionnent souvent les blocages, ce qui peut en partie expliquer leur laxisme.
Pourquoi les forces de l’ordre ne peuvent pas intervenir sans l’accord du président d’université  ?

Franchise universitaire

La réponse vient en partie des privilèges universitaires remontant au Moyen-Age et liés à l’origine religieuse des universités. La coutume des franchises universitaires consacrait la situation d’indépendance des universités à l’égard du pouvoir temporel et seul l’évêque pouvait enfermer en sa prison un étudiant.  Depuis, les contours de la franchise universitaire ont évolué et sont encadrés par le décret du 15 novembre 1811 de Napoléon Ier puis par l’article L712-2 du Code de l’éducation. Celui-ci mentionne que le président d’université « est responsable du maintien de l’ordre et peut faire appel à la force publique ». Aujourd’hui les forces de l’ordre ne peuvent entrer dans une université qu’à la demande exclusive du président de l’établissement.
Trois exceptions permettent cependant à la police de se passer de cet accord : en cas de flagrant délit, de catastrophe ou sur demande du procureur de la République. Le guide juridique de la conférence des présidents d’université précise que le juge peut aussi « enjoindre au président d’ordonner les mesures indispensables » dans « des circonstances graves ». Pour la définition de « circonstances graves », le guide renvoie à un arrêt du Conseil d’Etat de juillet 1992 qui évoque « une atteinte d’une gravité telle que [l’autorité de police] ne pouvait s’abstenir d’y porter remède sans méconnaître ses obligations en matière de police ».

En dehors de ces exceptions, c’est donc aux présidents d’université de faire la demande d’intervention pour débloquer leurs établissements et le problème vient du fait qu’ils redoutent souvent de le faire, vis-à-vis de leurs collègues, de la communauté universitaire et des étudiants. Ainsi à Nanterre, le président de l’université, Jean-François Balaudé a été hué par ses étudiants pour s’être servi de sa prérogative. « Je regrette d’avoir eu à prendre cette décision, a-t-il déclaré sur RMC. J’espère bien que ce sera la première et unique fois ». Voilà qui explique pourquoi Ils sont souvent tentés de temporiser en espérant que les blocages se lèvent d’eux même.

Plus l’intervention des forces de l’ordre tarde, plus elle se complique

La situation de l’université Paris 1 est un cas d’école. Le Président Georges Haddad a refusé pendant plusieurs jours de demander l’intervention des forces de l’ordre. Ce n’est que sous la pression juridique des recours déposés par l’UNI et du caractère « insurrectionnel » que prenait le blocus de Tolbiac, qu’il s’est enfin décidé à demander aux forces de l’ordre d’intervenir.

Dans un premier temps, cette demande a été rejetée par le Préfet de Police qui a estimé que l’intervention aurait du être demandée plus tôt ce qui aurait évité que la situation s’envenime.

Pour toutes ces raisons, il est urgent de faciliter l’intervention des forces de l’ordre dans les universités et surtout d’intervenir vite avant que les contestataires ne s’installent et que le mouvement ne s’amplifie.

Modifier la loi

Pour éviter que ces blocages continuent de perturber régulièrement nos universités, il convient de faciliter l’intervention des forces de l’ordre et pour cela il faut modifier la loi. Selon Charles Prats, magistrat à la cour d’appel de Paris, une réforme législative simple suffirait.

Il existe, en effet, une infraction d’intrusion et de maintien non autorisé dans un établissement scolaire (article 431-22 du code pénal),. Etant donné le caractère pénal de cette infraction, les forces de l’ordre peuvent entrer dans un lycée bloqué pour intervenir sans demande préalable. Il suffirait de remplacer la mention d’ »établissement scolaire » par celle d’ »établissement » pour calquer le régime des universités sur celui des établissements d’enseignement scolaire. «

Ce petit changement permettrait d’incriminer les opérations de blocages ou de déblocage sauvages des universités et libérerait du même coup les présidents des établissements de la responsabilité compliquée qui leur est donnée vis-à-vis des personnels et des étudiants : les intrusions illicites et les blocages devenant des délits, la flagrance continuant tant qu’il y a maintien irrégulier dans les lieux, les forces de l’ordre pourraient intervenir sans réquisition préalable pour mettre fin aux occupations illégales, constater les infractions et interpeller immédiatement leurs auteurs» a déclaré le magistrat Charles Prats.

Blocages des universités et code pénal : remplir le vide pour résoudre l’insoluble ?

Tribune de Charles Prats, initialement parue sur Dalloz-Actualité

Comme au moment de l’adoption ou de la mise en œuvre de chaque loi touchant à l’université, le folklore universitaire s’accompagne immanquablement de son lot de « blocages », « grèves étudiantes », occupations et autres dégradations, décidées en « assemblées générales » dont le développement des réseaux sociaux et des vidéos amateurs permet de constater chaque jour le peu de représentativité.

Les nuisances pour les étudiants sont néanmoins bien réelles puisque des centres universitaires se retrouvent empêchés de fonctionner correctement et, assez souvent, des violences inacceptables sont commises, comme par exemple le saccage du local de l’union des étudiants juifs par l’extrême-gauche au centre universitaire Tolbiac, la découverte de cocktails Molotov dans ce même établissement, les blessures oculaires graves infligées à l’un de ses fonctionnaires, victime d’un « piège à acide » à base de vinaigre, l’agression d’un député venu dialoguer avec les bloqueurs ou encore l’expulsion particulièrement violente d’étudiants d’un amphithéâtre de l’université de Montpellier par un groupe d’individus cagoulés non encore identifiés et armé de bâtons. On peut se demander pourquoi les forces de l’ordre n’interviennent pas plus tôt dans ces cas, ce qui heurte le sens commun.

Les privilèges universitaires, remontant au Moyen-Âge, sanctuarisent en quelque sorte l’université : les forces de l’ordre ne peuvent y entrer qu’à la demande du président de l’établissement. Sauf bien sûr en cas de flagrant délit qui relève de la procédure pénale classique et qui permet aux officiers de police judiciaire d’intervenir directement, sous le contrôle habituel du procureur de la République.

Un « blocage » d’une université par des personnes qui y sont étudiantes ou par des éléments extérieurs ne relève en réalité pas aujourd’hui d’une infraction pénale. On pourrait croire que l’intrusion dans une université pour y troubler l’ordre public ou en perturber le fonctionnement est constitutif d’un délit. C’est l’analyse qui aurait été faite dans l’affaire de Montpellier où le Doyen de la faculté de droit et un professeur ont été mis en examen pour notamment complicité d’intrusion dans un établissement scolaire, selon ce qu’en a rapporté la presse.

Mais les articles 431-22 et 431-23 du code pénal répriment le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement. Et la Cour de cassation, dans deux arrêts remarqués du 11 décembre 2012 (Crim. 11 déc. 2012, n° 11-84.304, D. 2013. 15 ; ibid. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin et n° 11-88.431) publiés au Bulletin (Bull. crim. n° 272) est venue préciser que les établissements d’enseignement supérieur ne sont pas des établissements scolaires et que l’incrimination de l’article 431-22 du code pénal ne trouve pas à s’y appliquer.

En clair il n’est pas possible de poursuivre pénalement les auteurs d’une « intrusion » dans une enceinte universitaire avec les dispositions susvisées. Entre parenthèses, cela revient également à questionner les qualifications de complicité qui auraient été retenues à Montpellier à l’encontre des deux universitaires selon la presse : comment être complice d’une infraction qui n’est pas pénalement réprimée par le texte ? Et dans la même veine, il apparaît impossible, en l’absence de commission d’autres infractions autonomes, d’en appeler à l’arme pénale pour libérer des enceintes universitaires bloquées par la force par quelques groupes minoritaires mais très agissants.

Une réforme législative simple pourrait cependant débloquer ces situations : la suppression du mot « scolaire » dans l’article 431-22 du code pénal. Ce qui aurait pour effet de permettre l’application de l’incrimination à l’ensemble des établissements d’enseignement, y compris supérieurs. Ce petit changement permettrait d’incriminer les opérations de blocages ou de déblocage sauvages des universités et libérerait du même coup les présidents des établissements de la responsabilité compliquée qui leur est donnée vis-à-vis des personnels et des étudiants, qui explique souvent leurs hésitations : les intrusions illicites et les blocages devenant des délits, la flagrance continuant tant qu’il y a maintien irrégulier dans les lieux, les forces de l’ordre pourraient intervenir sans réquisition préalable pour mettre fin aux occupations illégales, constater les infractions et et interpeller immédiatement leurs auteurs.

Évidemment le débat serait intense : quid de la liberté d’expression dans les universités ? Mais la tradition et l’histoire des facultés françaises montrent que celles-ci ont toujours fourni des amphithéâtres pour que s’expriment les débats politiques. Il ne s’agit donc pas de museler la parole des étudiants. Mais plutôt de donner les instruments pour empêcher que cette parole soit confisquée par quelques-uns au détriment de l’immense majorité des autres, comme le récent vote électronique à la faculté de lettres de Nancy l’a démontré, où plus de 70% des étudiants ont voté le déblocage de leur université afin de pouvoir étudier et passer leurs examens, dans l’indifférence absolue des bloqueurs locaux qui ont maintenu leurs actions malgré le désaveu cinglant du vote.

Une loi de réforme pénale arrive au Parlement. C’est un véhicule législatif idéal pour se saisir de cette question.