Carmen censurée par le Tribunal de la bien pensance

Il existe dans le champ culturel une force qui n’a pas d’identité officielle et dont pourtant l’action se fait sentir un peu partout. Ce n’est pas un organe de complot, car il n’a ni siège, ni dirigeants patentés, ni directives explicites. Les juges la composant sont auto désignés. Pour clarifier la situation, donnons un nom à cette réalité fuyante : le Tribunal de la Bien-Pensance (TBP).

A ce titre, il prononce des sanctions, des condamnations qui poursuivent un objectif bien déterminé : imposer à ses justiciables déclarés déviants l’obligation de subir une opération de redressement idéologique. Son action s’exerce à tous les degrés sous les formes les plus inattendues. Partons d’un exemple choisi parmi bien d’autres.

Bizet falsifié

L’actualité récente s’est intéressée à une affaire apparement anecdotique et insignifiante. Dans un théâtre de Florence, la Carmen de Bizet a été représentée avec une fin qui contredit totalement le texte du livret. Au lieu, en effet, que ce soit l’héroïne qui meure, tuée par son amant délaissé, celle-ci retourne la situation et abat celui qui devait être son meurtrier. La femme reste maîtresse du terrain.

Ce qui a fait réagir, c’est donc le dénouement falsifié de cette Carmen, qui est le produit de la mode idéologique qui fait fureur depuis quelque temps : le féminisme exacerbé, voire délirant. Le directeur du théâtre de Florence insiste sur cette relation de cause à effet : «… à notre époque, marquée par le fléau des violences faites aux femmes, il est inconcevable qu’on applaudisse la mort de l’une d’elles.»

Le passé kidnappé

Pour aller à l’essentiel, la falsification de Carmen et autres pratiques du même genre sont en fait emblématiques. Elles reposent sur une pétition de principe implicite, mais essentielle : les réalités du passé n’ont pas en elles-mêmes une existence intangible, sous une forme fixée une bonne fois pour toutes. Elles ne peuvent être prises en considération que si elles reçoivent la caution de certains de nos contemporains, mandatés par eux-mêmes pour exercer cette fonction au sein du TBP et disposant des pleins pouvoirs pour accueillir ou exclure ces réalités et pour leur donner une forme et une signification jugées « acceptables » aujourd’hui d’après des critères idéologiques.

La première conséquence, la plus évidente, est de couper nos contemporains d’une bonne partie de la littérature universelle, à commencer par des œuvres comme l’Odyssée ou l’Enéide. Ulysse et Enée, ces machos, qui n’hésitent pas à abandonner leurs conquêtes féminines sous prétexte de suivre leur propre destin voulu par les dieux ont des comportements qui seraient « inacceptables » et même « inconcevables » de nos jours.

Ce rapport au passé est crucial. La connaissance du passé est une nourriture indispensable à l’esprit, en particulier à l’esprit critique. En priver une population, ou la lui distribuer sous forme dénaturée, c’est la priver d’une véritable liberté intérieure, c’est la dessécher intellectuellement et spirituellement, c’est la formater pour la faire entrer dans des cadres idéologiques grossièrement simplistes, c’est la préparer à subir sans résistance toutes les manipulations.

Colbert escamoté

Cette volonté d’abolir ou de recomposer le passé s’attaque à tous les secteurs de l’histoire. C’est elle qui inspire, aux Etats-Unis, la campagne de déboulonnage de certaines statues, en particulier celle du général Lee, à travers laquelle on va s’efforcer d’envoyer dans le non-être ou dans l’enfer idéologique le camp sudiste lors de la guerre de Sécession.C’est cette même volonté qui, en France, pousse certains à réclamer que le nom de Colbert soit rayé de tous les établissements placés sous son patronage.

Ce qui aggrave encore la situation, c’est que, quand on s’est arrogé le droit souverain de supprimer certains aspects du passé, on est tenté d’en faire autant avec le présent. La volonté affichée de M. Macron d’interdire de diffuser des fausses nouvelles (sottement appelées fake news) en période électorale en est un exemple. Même s’il est animé d’une bonne intention (ce qui reste à démontrer), celle-ci est de celles dont l’enfer est pavé. Sa réalisation se heurte au moins à deux difficultés insurmontables : il arrive souvent qu’on ne sache que très tardivement, et parfois même jamais, si une nouvelle est vraie ou fausse et, d’autre part, qui aura le pouvoir légitime de trancher, donc d’interdire de médias les nouvelles jugées fausses ? Ce serait inévitablement le règne de l’arbitraire et de la censure préalable au détriment de la liberté d’expression.

En marche vers le totalitarisme mou

Si l’on considère tous les exemples cités plus haut, on voit qu’ils présentent certains points communs : omniprésence et pesanteur d’une idéologie simpliste ; abolition sélective ou recomposition du passé ; pouvoir souverain, confisqué par certains, de fixer et d’imposer la bien-pensance, de dire le bien et le mal, de permettre ou d’interdire ; limitation de fait de la liberté d’expression ; formatage des mentalités. On reconnait là les principaux traits de l’esprit totalitaire, qui ne relève certes pas d’un totalitarisme violent à la Hitler ou à la Staline, mais un totalitarisme paré de bons sentiments, insinuant, rampant, anesthésiant, et finalement abêtissant, car il impose une grille de lecture de la réalité grossièrement simpliste. Le totalitarisme, fût-il feutré, a partie liée avec la bêtise.

Cet état d’esprit que nous avons essayé de caractériser relève pour l’essentiel d’une idéologie dont se réclame la gauche. A cet égard, la situation actuelle comporte un paradoxe.

Depuis la mort du marxisme, la gauche est désespérément à la recherche d’une idéologie globale de substitution. A défaut d’en trouver une, elle se rabat sur des idéologies sectorielles négatives : antiracisme, lutte contre l’islamophobie et l’homophobie, regain de féminisme virulent. Alors que le dynamisme des idées est aujourd’hui orienté à droite, la gauche n’a plus de message à opposer sur ce terrain. En revanche, elle détient encore de nombreuses places fortes, particulièrement dans les médias qui lui permettent de contrôler des moyens de diffuser les idées et, pratiquement, d’étouffer les idées des autres en édictant toutes sortes d’interdits de nature idéologique.

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Carmen censurée par le Tribunal de la bien pensance

Cigarette électronique : Hymne raisonné à cette bouée tendue aux victimes du tabac

La gravité du drame tabagique, en France, tient en quelques chiffres : treize millions de fumeurs ; le tabagisme débutant dès le collège ; 79.000 morts par an, soit 230 chaque jour (20 fois plus que par les accidents de la route) ; de multiples estropiés d’artérites, de séquelles d’accidents vasculaires cérébraux, d’infarctus du myocarde, de bronchites chroniques asphyxiantes, d’accidents de la grossesse et de troubles chez l’enfant qui en naîtra…

L’addiction au tabac est surtout celle à sa nicotine, aux effets amplifiés par des adjuvants délibérément ajoutés pour produire des aldéhydes volatiles (formol, acétaldéhyde…), qui exacerbent les mécanismes neurobiologiques de l’addiction. Sa toxicité intrinsèque est majorée par les goudrons cancérigènes et l’oxyde de carbone (CO) produits par la combustion de l’élément végétal.

Hon Lik, un pharmacien chinois, incité à développer une alternative à la cigarette après que son père en soit décédé, concepteur de la « cigarette électronique », a vendu ses brevets (75 millions d’€) à Imperial tobacco.

Dans la e-cigarette la nicotine des recharges est volatilisée au contact d’une électrode échauffée par le courant électrique d’une pile, déclenché par l’aspiration.

La vaporisation de la nicotine, sans combustion de l’élément végétal, n’inflige pas aux consommateurs les nombreux toxiques émanant du tabac, dont les goudrons cancérigènes et l’oxyde de carbone (CO). Ce CO (qui était présent dans le gaz domestique produit par les cokeries d’antan) est un poison de l’hémoglobine ; il s’y lie fortement, empêchant le transport de l’oxygène, depuis les poumons qui le captent, jusqu’aux organes qui le consomment.

Après une lente progression, la vente de la e-cigarette explose depuis 2013. Sur les 13 millions de fumeurs, près de 10% d’entre eux désormais y recourent.

Parmi les inconvénients du vapoteur notons : (i) l’entretien de l’addiction à la nicotine, dont la toxicité cardio-vasculaire est avérée ; (ii) la persistance de la gestuelle du fumeur, qui maintient son ancrage dans l’habitude de la cigarette ; (iii) l’échauffement de la gorge par les vapeurs (« heat throat ») qui participe à l’addiction ; (iv) l’éventuelle toxicité liée aux éléments associés au solvant de la nicotine, tel le polyéthylène glycol. Les aldéhydes que sa combustion peut engendrer (formol, acroléine…) sont à des taux très inférieurs à ceux trouvés dans la fumée de cigarette.

Ces quelques réserves ne doivent pas relativiser les intérêts manifestes de la e-cigarette ; d’autant qu’elle peut être mise au service de la décroissance des doses de nicotine, en vue d’aboutir à l’abstinence. Il existe en effet des cartouches aux dosages décroissants de nicotine (20, 15, 10, 5 mg).

Alors que 2000 décès sont annuellement imputés au tabagisme passif, la e-cigarette n’expose pas à ce risque.

Encadrement de la vente des e-cigarettes

Les e-cigarettes et surtout leurs recharges soumises à des normes strictes devraient être dispensées en pharmacies (comme les substituts nicotiniques) sans ordonnance médicale. « Dispensées » et pas simplement vendues, car cette dispensation serait assortie d’un conseil du pharmacien. Elle pourrait comporter un protocole de diminution des doses, après évaluation du niveau de dépendance (par le test de Fagerström), avec un suivi pharmaceutique, pour entretenir la motivation du patient.

Le vapoteur ne devrait pas être vendu par les buralistes ; nombre d’entre eux ne respectant pas l’interdiction de la vente de tabac aux mineurs risqueraient aussi de leur vendre ces vapoteurs. De plus, chaque fois que le fumeur pousserait la porte de la civette, il serait confronté au choix difficile entre cigarettes ou vapoteur. On ne peut demander aux buralistes de diffuser un produit pour réduire l’addiction au tabac, alors qu’ils l’ont fait naître et l’entretiennent.

« Imperial Tobacco » pourrait faire disparaître la cigarette électronique. Plus subtilement, ils la mettent au service du recrutement de nouveaux fumeurs. On devrait interdire l’ajout de parfums (fraise, vanille, chocolat..) qui incitent des jeunes non fumeurs, à se faire recruter par la nicotine. La vente des vapoteurs et des recharges de nicotine devrait continuer d’être interdite aux mineurs, afin qu’ils ne puissent entrer par cette porte dans l’addiction à la nicotine et bientôt au tabac. Par contre, leurs parents, pour les aider à rompre avec la cigarette, pourraient les acquérir en leur nom et en surveiller l’usage.

L’usage des vapoteurs devrait être interdit là où la consommation du tabac est interdite, pour restreindre la fréquence d’usage et, partant, la toxicité nicotinique.

Il convient d’être attentif au détournement des vapoteurs, pour la consommation de la molécule stupéfiante du cannabis, le tétrahydrocannabinol (THC), par l’introduction dans les recharges d’ « huile de cannabis » ou d’autres cannabinoïdes de synthèse qui se multiplient sur le marché.

Le degré 0 de la subtilité a été atteint (mars 2016), par la proposition, émanant de proviseurs, d’autoriser les potaches à fumer dans la cour de leur lycée, pour qu’ils ne soient exposés aux balles des terroristes quand, aux intercours, ils s’attroupent pour fumer, devant leur lycée. Ces éminences du monde de l’éducation n’ont pas calculé que le risque d’être atteint par la balle d’un terroriste était infiniment plus faible que celui affronté par ceux qui s’adonnent au tabac dès l’adolescence. Ils n’ont pas imaginé qu’on pouvait tirer argument de cette situation nouvelle, en interdisant ces sorties intercours. Le maintien de l’élève pendant huit heures dans l’établissement, sans fumer, ralentirait l’entrée dans l’addiction à la nicotine et aiderait le sujet déjà dépendant à s’en débarrasser.

Saluons l’interdiction de l’usage du tabac dans un véhicule transportant des enfants en bas âge, cette précaution n’étant pas évidente pour tous

Soutenir financièrement l’usage de la e-cigarette dans le cadre du sevrage tabagique

S’agissant de l’aide matérielle à apporter aux fumeurs pour les purger de cette intoxication, la Haute Autorité de Santé (HAS) avait recommandé, en 2005, une prise en charge à 100% de l’essai d’un sevrage tabagique au moyen des patches, gommes ou pastilles de nicotine. Il serait opportun d’adjoindre à cette liste, sinon les vapoteurs, du moins leurs recharges de nicotine. Le forfait annuel avait été fixé à 50 €. En novembre 2013 la représentation nationale a triplé ce montant d’aide au sevrage, le portant à 150 € par an pour les 20-25 ans. Deux millions de jeunes pourraient être concernés. Si 60% de nos fumeurs de 20-25 ans souscrivaient à cette opportunité, cela coûterait 40 millions d’euros à l’assurance maladie, ce n’est que 8 fois moins que ce que pourraient coûter à terme, les « salles de shoots » proposées aux toxicomanes par une ex ministre de la santé (M. Touraine).

La e-cigarette permet de réduire significativement la toxicité du tabac ; elle peut être mise au service de la réduction des doses de nicotine, chemin vers la difficile abstinence. Veillons à prévenir ses détournements d’usage et à empêcher qu’elle serve à recruter de nouveaux tabagiques.