Entretien d’Olivier Vial, directeur du CERU pour le site Atlantico, paru le 27 juillet 2024
1/ La SNCF a été victime, dans la nuit du jeudi 25 au vendredi 26 juillet, de plusieurs « actes de malveillances concomitants » qui ont touché les lignes grande vitesse Atlantique, Nord et Est notamment. Que sait-on de l’ampleur de l’assaut. Peut-on parler de sabotage ou d’attaque contre la France ?
Olivier Vial : Nous faisons clairement face à une action de sabotage, coordonnée et inédite par la synchronisation des actions à quatre endroits différents. La France a déjà été la cible d’actions ou de tentatives de sabotage organisées notamment par des engins incendiaires comme cela a pu être le cas dans la nuit du 25 au 26 juillet. Force est de constater, par ailleurs, que le modus operandi dont il est ici question est très similaire à celui mis en place récemment, à l’arrivée de la flamme olympique à Marseille. En revanche, jamais une telle opération n’avait bénéficié d’une telle coordination. Rappelons-le bien : quatre sites névralgiques, c’est-à-dire d’où partent des bifurcations, ont été ciblés par les activistes qui, de toute évidence, étaient bien informés. D’autant plus que chacune des quatre opérations a eu lieu entre 1h et 4h du matin. Fort heureusement, l’une d’entre elles a pu être interrompue par une ronde de cheminots, faute de quoi il aurait fallu composer avec plus encore de dégâts. On parle tout de même de plus de 800 000 personnes touchées à l’heure actuelle.
Il va de soi, par ailleurs, que c’est l’image de la France qui est abimée. A la gare Montparnasse, la plus touchée par l’opération de sabotage, il y avait des dizaines de télévisions étrangères qui relataient en direct les évènements. C’est une attaque claire contre la réputation de la France, contre les JO de Paris 2024. Malheureusement, c’était assez prévisible.
2/ Qui pourrait être à l’origine de ce sabotage selon-vous ? Faut-il effectivement penser que c’est là l’œuvre de l’ultragauche, comme semblent l’envisager les enquêteurs ?
Olivier Vial : Commençons par rappeler que l’enquête est en cours et qu’il est, dès lors, assez difficile d’affirmer quoique ce soit. Ce qui est sûr, néanmoins, c’est que ces assauts portent clairement la marque de l’ultra-gauche. Comprenons-bien : cela ne signifie pas que c’est nécessairement un groupuscule d’ultra-gauche qui était à l’œuvre, puisqu’il est tout à fait possible que cette signature ait été imitée, potentiellement par une puissance étrangère d’ailleurs. Notons, à cet égard, que le ministre des Affaires étrangères israéliens a dit avoir alerté son homologue français quelques heures avant l’opération de sabotage du risque concernant de telles opérations.
Dans tous les cas, il s’agit clairement de montrer le point de vulnérabilité de l’ensemble du dispositif des Jeux Olympiques et tout particulièrement de son système de sécurité. J’avais déjà eu l’occasion d’en parler, dans un petit livre dédié à ce sujet, il y a quelques mois, alors que l’ultra-gauche annonçait déjà son intention de s’en prendre aux JO. Cela n’a rien de nouveau : l’ultra-gauche considère que, pour s’attaquer au cœur du capitalisme, il faut s’attaquer à son sang, le priver des flux qui le font battre : les transports, l’eau, l’électricité, internet. Notons par ailleurs que l’ensemble de ces réseaux ont fait l’objet de tentatives de sabotage ces dernières années. Les antennes 5G ont été particulièrement visées. Internet a fait l’objet, il y a environ un an et demi, d’une attaque ciblée et coordonnée – l’une des premières à l’être autant -. Dans le sud-est de la France, il y a aussi eu des attaques sur les pylônes de haute intensité électrique. Cela fait des mois, maintenant, que l’ultra-gauche cherche à mettre en application sa théorie, dévoilé notamment en 2007 avec la publication d’un ouvrage du Comité invisible intitulé “l’Insurrection qui vient”. Celui-ci affirmait notamment que : “saboter avec quelques conséquences la machine sociale implique aujourd’hui de reconquérir et de réinventer les moyens d’interrompre ces réseaux”. Naturellement, il est ici questions des réseaux que nous avions évoquées. Comment rendre inutilisable une ligne de TGV, comment trouver les points faibles du réseau informatique ou brouiller les ondes radios ? Ce sont là des questions que l’ultra-gauche se pose depuis au moins 2007. Cela fait des années qu’elle théorise la nécessité de s’attaquer aux réseaux et notamment au réseau ferroviaire.
Citons ainsi les travaux de l’universitaire suédois Andreas Malm, célèbre pour son livre “Comment saboter une pipeline”, qui rend le sabotage d’infrastructure légitime comme moyen d’action politique. Notons aussi que les Soulèvements de la Terre affirment depuis peu être passés à ce qu’ils appellent la “saison 7”, laquelle consiste à s’attaquer aux réseaux de flux et tout particulièrement à la logistique. Autant d’éléments qui laissent à penser que l’ultra-gauche ferait office de coupable tout trouvé… mais il faut tout de même rappeler qu’elle a toujours eu un mal fou à coordonner son action au niveau national. La plupart du temps, ce sont des petits groupes locaux qui agissent sans avoir nécessairement pris contact avec d’autres homologues. Rien ne permet d’affirmer qu’ils n’ont pas réussi à s’organiser depuis et force est de constater que le modèle opératoire a de quoi faire penser à eux. Mais il faudrait être naïf pour ignorer les autres pistes éventuelles : celle de l’implication directe ou indirecte de puissances étrangères, qui auraient pu manipuler l’un ou l’autre de ces groupuscules notamment.
3/ Dans quelle mesure l’ultra-gauche a-t-elle pu être instrumentalisée par des puissances extérieures ? Qui sont ceux qui auraient intérêt à ainsi l’instrumentaliser ?
Olivier Vial : Ce sera à l’enquête de le dire. Mais comme exprimé précédemment, il est possible que des puissances étrangères aient pu donner dans l’ingérence en instrumentalisant les groupuscules d’ultra-gauche à leur fin. Il faut aussi envisager la possibilité que cette même puissance étrangère imite la signature de l’ultra-gauche pour lui faire “porter le chapeau”. C’est précisément sur ce sujet que le ministre des Affaires étrangères israélienne a voulu sensibiliser son homologue français sur les risques d’actions menées par l’Iran contre les JO. C’est également un modus operandi utilisé par la Russie, en aout 2023, des actions de sabotage des réseaux de communication des gares polonaises avaient également perturbé le trafic dans ce pays.
La guerre dont nous parlons aujourd’hui est, par essence, très asymétrique. Des puissances étrangères ont recours à l’ingérence ou aux actions de déstabilisation. Pendant longtemps, cela signifiait avoir recours à des campagnes réputationnelles sur internet. Il y a quelques mois de cela, l’Azerbaïdjan était d’ailleurs soupçonné d’avoir procédé à des attaques contre les JO de Paris à l’aide de fausses vidéos publiées via des faux comptes X. Plus récemment, un ressortissant russe a été arrêté parce que soupçonné de déstabilisation. N’oublions pas non plus la vidéo de menaces contre les JO initialement attribuée au Hamas avant que l’on ne réalise qu’elle avait très vraisemblablement été poussée par les réseaux pro-russes. Ce sont ces mêmes réseaux pro-russes qui gravitaient aussi au cœur des mouvances antisémites pour mieux taguer des mains rouges et alimenter les tensions. Nous avons de quoi penser, à cet égard, que l’ultra-gauche peut parfois incarner l’idiot utile de ces puissances étrangères.
4/ N’a-t-on pas une petite idée (à tout le moins) du motif qui a pu motiver l’action de sabotage du réseau TGV français ?
Olivier Vial : Le motif est, c’est vrai, on ne peut plus clair. L’objectif de cette opération consiste à déstabiliser les Jeux Olympiques, à discréditer la France au moment où toutes les caméras du monde sont braquées sur elle. Le fait de mener cette action quelques heures seulement avant la cérémonie d’ouverture des JO n’a rien d’innocent. C’est une opération qui a été très bien pensée, puisque l’effet est majeur. L’image du pays est largement écornée, ce qui correspond tout à fait à ce que souhaitaient les mouvements d’ultra-gauche qui avaient annoncé qu’ils s’en prendraient aux Jeux, ou certaines puissances étrangères qui ne cachent plus leur hostilité vis-à-vis de notre Nation. Si nul ne peut dire, pour le moment, qui est derrière l’attaque, l’objectif apparaît bien rempli.