Le wokisme fait-il toujours recette ? Les assauts des adeptes de la cancel culture ne semblent pas près à s’arrêter.
Leurs sensitives readers, véritable « police des sensibilités » (1), se pressent pour réécrire les classiques de la littérature. Les gommes ont remplacé les stylos. Ils traquent, effacent, remplacent tout ce qui pourrait être ressenti comme une micro-agression. Après les œuvres de Roald Dahl en Angleterre, c’est désormais en France que les éditions Le Masque annoncent leur intention de passer à la moulinette idéologique les œuvres d’Agatha Christie pour les rendre plus inclusives et moins offensantes. Tout cela avec la bénédiction de son arrière-petit-fils ! Quant à Barilla, la marque de pâtes italienne, elle vient dans une vidéo de redéfinir la recette des emblématiques spaghettis carbonara. Ces « open carbonara » sont désormais des pâtes sans gluten au céleri avec de la pomme de terre et du safran… oubliés les œufs, la pancetta, le pecorino, le goût de l’Italie, la tradition… Seul le nom demeure, tout le reste a été cancelled au nom de la sacro-sainte inclusivité. La machine s’emballe et rien ne semble capable de la stopper ! Dans la suite des aventures de Scooby-Doo, qui vient de sortir aux USA, les auteurs se sont lâchés. Pour lutter contre le patriarcat, le nouveau dessin animé sera centré sur les aventures de Velma. Si le personnage a conservé ses pulls orange et ses grosses lunettes carrés, elle est désormais brune de peau, d’origine indienne et lesbienne. Daphné, maintenant asiatique, délaisse son blondinet Fred, pour les charmes de la nouvelle héroïne de la série. Quant à Samy, il est devenu rasta. Et Scooby-Doo ? Purement et simplement effacé.
Mais voilà, cette surenchère n’est pas du goût des téléspectateurs.« Les évaluations faites par le public sur le site internet IMDb, une base de données en ligne sur les films et les séries télévisées, ne sont pas très élevées. L’épisode un, intitulé Velma, a reçu une note de 3,6/10 et l’épisode deux, intitulé The Candy (Wo)man, a reçu 3,2/10 » (2). D’autres initiatives ont, récemment, été encore plus sévèrement sanctionnées. Aux États-Unis, la vice-présidente du marketing des bières Budweiser, Alissa Heinerscheid, a expliqué que sa « marque est en déclin depuis un certain temps », ce qui imposait une évolution de son image : « Ça veut dire changer de ton, avoir une campagne vraiment inclusive, plus légère, plus lumineuse et différente, qui s’adresse aux femmes et aux hommes » (3). Pour cela, elle a conclu un partenariat avec Dylan Mulvaney, une influenceuse trans star sur TikTok, dont la photo devait apparaître sur certaines canettes. Cela n’a convaincu ni sa clientèle plutôt populaire, ni les conservateurs américains qui ont massivement appelé au boycott. L’effet boomerang a été massif. Le groupe Budweiser a perdu près de 5 milliards de dollars de capitalisation boursière en quelques jours.
Au premier semestre 2022, Netflix avait également perdu plus d’un million d’abonnés. Son tropisme wokiste était alors invoqué pour expliquer cette désaffection. Elon Musk, se faisant le porte-parole de nombreux client de la plateforme, avait tweeté « le virus woke rend Netflix inregardable ». Grâce à la puissance de ses algorithmes, le géant du streaming a compris que certains de ses abonnés délaissaient, en effet, ses contenus les plus wokes. Dans une note interne, il a immédiatement rappelé à l’ordre ses salariés – une partie d’entre eux militait pour le retrait des spectacles de l’humoriste Dave Chappelle jugés transphobes par les activistes – « En tant qu’employés vous devez soutenir le principe selon lequel Netflix offre une diversité d’histoires, même si vous trouvez que certains titres sont contraires à vos propres valeurs personnelles. Selon votre rôle, vous devrez peut-être travailler sur des titres que vous percevez comme nuisibles. Si vous avez du mal à prendre en charge notre gamme de contenus, Netflix n’est peut-être pas le meilleur endroit pour vous » (4). Après cette mise en garde et quelques licenciements, la plateforme a regagné 10 millions d’abonnés.
Dans les entreprises françaises également, le wokisme peine de plus en plus à convaincre. En mars 2023, l’IFOP et Havas Paris ont réalisé une étude sur l’influence de ces concepts au sein des entreprises. Une première enquête avait été réalisée en 2021. Entre ces deux dates, leur notoriété a progressé. « L’ensemble des notions soumises aux répondants recueillent un taux de notoriété d’au moins 32 %, contre 27 % en 2021. C’est le cas par exemple des « études de genre » (65 %, + 12 points), du « privilège blanc » (58 %, + 11 points), de l’« appropriation culturelle » (56 %, + 11 points) ou encore de la « masculinité toxique » (51 %, + 13 points). Preuve que le vocabulaire s’installe dans le paysage » (5).
Mais la popularité et l’adhésion aux concepts ne sont pas la même chose. « Alors que la cancel culture, l’écriture inclusive et la discrimination positive gagnent en notoriété, leur approbation semble en revanche s’essouffler. En effet, les chiffres révèlent que l’opinion favorable à la cancel culture a chuté de 43 % en 2021 à 30 % aujourd’hui, tandis que l’écriture inclusive et la discrimination positive ne recueillent respectivement que 30 % et 20 % d’approbation » (6).
Attention cependant à ne pas se réjouir trop vite, car même si l’adhésion aux mesures emblématiques du wokisme reste minoritaire, elle n’en demeure pas, pour autant, marginale. Ainsi, 40 % des personnes interrogées se déclarent favorables à la possibilité de choisir son pronom (il, elle, iel) pour les démarches administratives. Quant aux mesures examinées (incluant la mise en place de toilettes non genrées, la rédaction de communications internes en écriture inclusive et la création d’espaces dédiés à la pratique religieuse), celles-ci reçoivent environ 30 % d’approbation. Le taux d’approbation le plus bas, à 20 %, concerne l’instauration de quotas de recrutement basés sur l’orientation sexuelle ou l’origine ethnique. D’autres études, comme celles menées par l’Institut du dialogue civil et l’Institut Harris, en septembre 2021, montrent qu’il existe un fort clivage générationnel sur ces questions. Les moins de 35 ans restent, en effet, beaucoup plus perméables à ces concepts. Alors, ces premiers signes de reflux du wokisme dans les entreprises sont-ils simplement le signe d’un rejet porté par les seuls boomers, ou celui d’une future remise en cause beaucoup plus large de l’opinion vis-à-vis des excès des hérauts de la cancel culture ?
(1) Expression de Salman Rushdie.
(2) https://lecollectif.ca/la-controverse-autour-de-la-reimagination-des-personnages-de-scooby-doonbsp/
(4) https://variety.com/2022/digital/news/netflix-culture-memo-update-censorship-spending-1235264904/
(6) Ibid.