Mesure dérogatoire pour le Ramadam, la tentation de Bayonne

Cette année, pas de repas familiaux, pas de chemins de croix pour Pessah ou Pâques. Contrairement aux apôtres, douze à être confinés pendant dix jours au Cénacle de Jérusalem, des millions de fidèles le sont aujourd’hui depuis six semaines, condamnés à suivre les offices à distance.

Pour les musulmans, le Ramadam a commencé ce vendredi 24 avril. En temps normal, les croyants se rendent à la mosquée le soir et rompent le jeûne lors «d’iftars», repas festifs rassemblant famille et amis. Certains politiques y participent ou même les organisent dans leurs mairies, comme Anne Hidalgo à Paris, contrevenant au principe de neutralité des services publics.

Le recteur de la grande mosquée de Paris, édifiée par l’État pour rendre hommage à ses soldats musulmans morts pour la France, a rappelé les consignes gouvernementales ; les mosquées sont fermées et chacun reste chez soi.

Cependant, au Pays basque, patrie d’Ignace de Loyola, fondateur des jésuites, l’administration préfectorale pourrait avoir décidé de contourner les règles.

Selon le journal « Sud-Ouest », qui rapporte les déclarations du président de la communauté musulmane locale, la sous-préfecture de Bayonne a assuré à ce dernier qu’un modèle d’attestation dérogatoire sera « édité » afin que certains musulmans défavorisés puissent rompre le jeûne. Elle sera « transmise aux policiers et aux gendarmes ».

Si une telle attestation était effectivement publiée et mise en oeuvre, elle serait d’abord illégale et porterait surtout atteinte à l’indivisibilité de la République et à son caractère laïc, principes inscrits dans la Constitution.

D’abord illégale, car elle contreviendrait aux dispositions exposées à l’article 3 du chapitre 2 du décret du 23 mars 2020. Ce texte prévoit des dérogations très limitées au confinement que tous les Français connaissent ; surtout, le gouvernement avait bien pris le soin, lors de sa rédaction, d’y ajouter un paragraphe III afin que le représentant de l’État puisse adopter des mesures plus restrictives, certainement pas plus libérales.

Si les informations de « Sud-Ouest » sont exactes, le représentant de l’État aurait décidé de violer ces dispositions réglementaires, alors que son rôle est précisément de veiller à leur application.

Ensuite, l’intervention de ce sous-préfet serait d’autant plus illégale qu’elle violerait nombre de dispositions de la loi du 9 décembre 1905, dont l’article 2 dispose : « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ».

En rédigeant ou en facilitant l’usage de telles attestations, le représentant de l’État à Bayonne susciterait une confusion entre ses réels pouvoirs de police sur les cultes et le concours apporté à l’organisation d’une religion.

En effet, si les cultes « restent placés sous la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public », selon les dispositions de l’article 25 de la loi de 1905, le représentant de l’État n’a pas pour mission de les faciliter.

Ce faisant, il instituerait, sans doute inconsciemment, l’Islam comme religion d’État dans son arrondissement, en violation flagrante de l’article premier de la Constitution qui rappelle que la France est une République indivisible et laïque.

La violation du principe constitutionnel de l’indivisibilité par le sous-préfet serait constituée par la rupture de l’unité du pouvoir normatif, précisément celui régissant les attestations dérogatoires.

L’article premier de la constitution du 4 octobre 1958 proclame aussi que la République est indivisible. La seule exception à l’édiction de règles de droit différentes sur une partie de son territoire est celle prévue au profit des collectivités territoriales.

Or, celles-ci ne disposent d’un pouvoir normatif que dans le cadre de la loi, selon les dispositions de l’article 72 alinéa 3 de la Constitution ; c’est : « dans les conditions prévues par la loi que les collectivités territoriales s’administrent librement ».

En laissant croire qu’il pourrait délivrer une telle attestation, non seulement illégale, mais aussi anti-constitutionnelle, le sous-préfet risquerait d’encourager la stigmatisation de nos compatriotes musulmans et d’ébranler la concorde nationale. D’autant plus que l’archevêque de Paris s’est ému de l’intervention armée de fonctionnaires de police dans une église parisienne récemment.

Or, à ma connaissance, l’action publique n’a pas été déclenchée, alors que le fait d’interrompre « les exercices d’un culte » est puni de peines d’amendes et d’emprisonnement, toujours selon la loi de 1905.

Si cette intention était avérée, le ministre de l’Intérieur, son autorité hiérarchique, ne manquerait pas de la prévenir. Sinon, une telle omission transformerait cette tentation locale en politique gouvernementale.

Philippe Fontana
Avocat au barreau de Paris
Membre du CERU, le laboratoire d’idées universitaire

Web-rencontre avec le Dr Bertrand Legrand

COVID-19, Situation sanitaire, stratégie de dépistage, port du masque

Pour faire le point sur la crise sanitaire que nous traversons, nous aurons le plaisir d’échanger avec le Dr. Bertrand Legrand, médecin généraliste, secrétaire général de la CSMF 59-62. Membre du Conseil d’orientation du CERU, le laboratoire d’idées universitaire.

Découvrez le replay de cette rencontre

Web-rencontre avec Patrick Hetzel

COVID-19, Situation sanitaire, Mesures de relance, application de tracking

Pour faire le point sur la crise sanitaire que nous traversons, nous aurons le plaisir d’accueillir pour cette première web rencontre du CERU, Patrick Hetzel, député LR du Bas-Rhin.

Jeudi 23 avril à 17 h 45

En espérant pouvoir échanger avec vous à cette occasion.

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Lutte technologique contre le Covid-19 ou le risque d’une démocratie un peu plus illibérale

Les circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous vivons redessinent la frontière établie en termes d’atteintes aux libertés et pousse les vieilles nations européennes à un usage de la technologie qui les rapproche de certains régimes bien moins libéraux qu’elles, explique Laurent Gayard, membre du CERU, le labo d’études universitaire. Tribune parue dans Valeurs Actuelles `

En 1997, Fareed Zakaria, politiste et géopolitologue américain d’origine indienne, publiait dans Foreign Affairs un texte, aujourd’hui fréquemment cité, décrivant un nouveau type de régime politique que Zakaria baptisait « démocratie illibérale ». Il s’agissait pour Zakaria d’un état transitionnel conduisant certaines nations à choisir de préserver certaines formes démocratiques, comme l’organisation d’élections plus ou moins libres, tout en restreignant les libertés civiles. Les principes démocratiques, avançait Zakaria, ne font pas une démocratie, ils sont en eux-mêmes cumulatifs et peuvent conduire à une concentration excessive du pouvoir, ainsi qu’à une restriction des libertés civiles, tout en conservant les formes d’un régime démocratique.

Après la disparition de l’Union soviétique, les régimes autoritaires survivants ont su s’adapter au régime libéral global, sans renier leur idéologie, comme la Chine de « l’économie socialiste de marché ». D’autres régimes sont apparus, adoptant une forme démocratique libérale tout en conservant un caractère intrinsèquement autoritaire. Quant aux vieilles démocraties libérales américaine et européennes qui ont triomphé du totalitarisme soviétique, elles ont été confrontées à l’inflation individualiste des demandes de droits et à la confrontation de plus en plus marquée avec les régimes concurrents, contestant la validité de ce modèle politique et lui opposant une forme de libéralisme plus autoritaire. Confrontées à cette double pression à la fois interne et externe, les vieilles démocraties libérales choisissent elles aussi d’adopter des solutions illibérales pour défendre leur modèle ou faire face à une situation exceptionnelle.

La loi Avia, adoptée le 9 juillet 2019 par le parlement français, et son inspiratrice allemande, la « NetzDG », adoptée en 2018, ont fort bien démontré cette mutation interne des pays de vieille tradition libérale. La procédure, prévue par la NetzDG comme la loi Avia, permet à n’importe quel utilisateur, ou n’importe quel groupe d’utilisateurs, de signaler un contenu, sur la foi d’un nom, d’un prénom et d’une adresse mail. Le délai de 24 heures imposé pour les « contenus de haine en ligne », avec toute la latitude que suppose l’imprécision même de l’expression, n’a aucun sens dans l’écosystème d’Internet : il est beaucoup trop long pour prétendre sérieusement empêcher qu’une publication dangereuse devienne virale, il est trop court pour permettre aux plateformes incriminées de traiter le problème des publications « grises » autrement qu’en les supprimant pour se mettre à l’abri d’une très lourde sanction. La loi Avia ne permet pas de lutter efficacement contre les contenus les plus radicaux mais elle peut permettre en revanche de restreindre grandement la pratique de la dérision ou l’expression du pluralisme des opinions.

L’essayiste Yves Mamou s’intéressait en juillet 2019 aux résultats d’un sondage réalisé en Allemagne par l’Institut für Demoskopie Allensbach et publié par le Frankfurter Allgemeine Zeitung. La lecture des résultats et conclusions du sondage révélait quelques traits inquiétants, en particulier le fait que « nombre d’Allemands ont le sentiment que le contrôle social s’est renforcé sur l’expression publique et que les comportements et les propos publics font désormais l’objet d’une surveillance renforcée ». En juin 2019, Jonathan Turley, professeur de droit à l’université Georges Washington, se désolait de voir la France, patrie de la liberté, devenir un danger pour la liberté d’expression.

On ne peut se garder d’établir un parallèle entre les initiatives européennes et ce qui se passe dans des Etats autoritaires comme la Chine, où les « Systèmes de Crédit Social » (SCS) mettent la société chinoise et Internet sous tutelle, avec le concours actif des géants du net chinois. Ant Financial, filiale d’Alibaba, développe Sesame Credit et Tencent propose lui Tencent Credit. Les deux sont développées sous la forme d’applications permettant aux « bons citoyens » d’engranger des points sur Sesame ou Tencent Credit en faisant la démonstration dans la vie de tous les jours d’un comportement responsable. Ce capital peut ensuite être utilisé pour commander, par exemple, des produits sur des plateformes telles que Alipay. Une récente étude publiée en août 2018 par Genia Kostka, de l’Université Libre de Berlin, montre que ces dispositifs reçoivent un accueil favorable en particulier dans les catégories urbaines et plus aisées de la population chinoise, qui y voient plus d’avantages que d’inconvénients.

Les médias européens s’étaient inquiétés du développement de cette forme de totalitarisme numérique et consumériste au moment où les premières expériences du SCS avaient été lancées en Chine. Aujourd’hui la pandémie mondiale de Covid-19 qui a fait plus de 50 000 morts en Europe a tout changé. Il ne s’agit plus cette fois de traquer les “contenus de haine en ligne” mais de répondre à une urgence sanitaire bien plus pressante que la viralité virtuelle qu’entend combattre la loi Avia. 3,4 milliards de personnes sont confinées sur la planète et Christophe Castaner a eu beau se féliciter que les Français respectent relativement bien le confinement, son avis a été démenti par nombre de responsables, dont Martin Hirsch, directeur de l’AP-HP, qui s’inquiétait encore le 5 avril de voir « trop de monde dans les rues de Paris ». L’irrépressible besoin d’aller faire du sport ou de profiter du soleil printanier fait oublier certains jours que la France entière est supposée être confinée. A cela s’ajoute la question, fort complexe, du déconfinement. Comment éviter, tant qu’un vaccin n’a pas été trouvé et que la fameuse “immunité collective” n’a pas été atteinte, une reprise de l’épidémie pendant la phase dangereuse au cours de laquelle les gens pourront à nouveau sortir de chez eux, revoir leurs proches, leurs amis, retourner au travail ?

Le 26 mars 2020, sur France 2, le ministre de l’Intérieur écartait encore l’hypothèse: « Ce n’est pas la culture française. » A peine dix jours plus tard, la culture française – du moins celle du législateur – a semblé avoir beaucoup évolué sur le sujet, comme en témoigne la note parlementaire de Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d’État chargé du Numérique et aujourd’hui député LREM de Paris, intitulée « Traçage des données mobiles dans la lutte contre le Covid-19 ». « En cette période d’isolement, ces technologies [numériques] n’ont jamais été aussi précieuses pour l’Humanité. Et elles peuvent le devenir plus encore par l’utilisation du traçage des données mobiles afin de contrarier la propagation du SARS-CoV-2. La gravité de la situation appelle à se saisir de tous les moyens à disposition, sans toutefois compromettre nos valeurs et nos libertés », écrit le député de Paris qui propose de passer en revue les moyens mis en œuvre par un certain nombre de pays – la Chine, Taïwan, la Corée du Sud, Israël ou la Pologne – afin de pouvoir mettre en place une cartographie numérique efficace des déplacements de populations, l’identification et la cartographie des personnes ayant pu se trouver en contact avec une personne atteinte du Covid-19, voire la mise en place d’un véritable “bracelet électronique virtuel”, afin de garantir le respect des règles de confinement.

Les moyens technologiques disponibles pour mettre en place de tels dispositifs de suivi et de surveillance sont nombreux mais les enjeux éthiques qu’ils mobilisent et le degré de coercition qu’ils supposent varient énormément. La « cartographie des mobilités collectives », grâce aux données de géolocalisation transmis par les fournisseurs d’accès aux autorités publiques, est déjà actée par la transmission des données personnelles d’opérateurs tels qu’Orange ou Deutsche Telekom à la Commission Européenne. Mais le traçage des sujets contacts ou le contrôle du confinement peuvent s’inspirer de méthodes plus intrusives. C’est le cas de l’application chinoise “Close Contact Detector”, évoquée dans la note de Mounir Mahjoubi, qui informe ses utilisateurs lorsqu’ils ont été en contact étroit avec une personne infectée ou susceptible de l’être, tout en transmettant l’historique des déplacements aux agences gouvernementales et autorités de santé.

Le dispositif de contrôle peut aller plus loin encore, comme c’est le cas en Pologne où les personnes infectées ou susceptibles de l’être doivent se conformer à une quatorzaine contrôlée par la géolocalisation de leur téléphone. Un tracker, relié aux services de police, est imposé. Lorsqu’une personne à l’isolement s’éloigne de son domicile ou éteint son téléphone, elle est contactée dans les 15 minutes. Pour s’assurer que les personnes ne “trichent” pas en laissant leur téléphone à domicile alors qu’elles sont de sortie, des fonctionnaires les appellent 2 fois par jour. Evidemment, précise Mounir Mahjoubi dans sa note, « on ouvre symboliquement le champ à une nouvelle forme de contrôle sur la population ». D’autant plus, précise la note, que pour être efficace, ce type d’applications devraient être installés et utilisées par au moins 60% de la population. Un constat qui ouvre la voie à des mesures coercitives pour instaurer une obligation d’usage.

Le gouvernement n’a pas choisi pour le moment ce type d’option, s’inspirant plutôt de l’exemple de Singapour qui met en libre téléchargement une application utilisant les services Bluetooth des smartphones. Lorsqu’un utilisateur apprend qu’il est infecté, il contacte les autorités sanitaires et leur transmet le fichier contenant les identifiants des téléphones croisés. Les sujets “contact” ainsi identifiés sont avertis du risque de contamination. Dans un entretien accordé au journal Le Monde, c’est à peu près l’option retenue, et présentée par le ministre de la Santé Olivier Véran et Cédric O, l’actuel secrétaire d’Etat chargé du Numérique, avec l’application StopCovid : « L’idée serait de prévenir les personnes qui ont été en contact avec un malade testé positif afin de pouvoir se faire tester soi-même, et si besoin d’être pris en charge très tôt, ou bien de se confiner. »

Bien sûr, ce projet européen auquel participent la France, l’Allemagne et la Suisse garantit, d’après Olivier Véran et Cédric O, que l’application utilisera la technologie Bluetooth et n’effectuera pas de géolocalisation grâce au GPS du téléphone, que son installation sera laissée à la discrétion de l’utilisateur et qu’elle sera aisément désinstallable. Le secrétaire d’Etat appelle donc à « se garder du fantasme d’une application liberticide ». Pourtant, les circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous vivons redessinent clairement la frontière établie dans nos démocraties libérales en termes d’atteintes aux libertés. Par une ruse de l’histoire, la pandémie de Covid-19, amène les gouvernements des pays européens rudement touchés par l’épidémie à adopter des mesures qui, sans aller bien sûr jusqu’à instaurer une forme de SCS chinois adapté à nos sociétés, amène un peu plus nos vieilles démocraties libérales à s’inspirer des solutions “illibérales”, avec l’apport des technologies modernes de captation et contrôle des données. Qu’en sera-t-il dès lors dans le “monde d’après” l’épidémie ? « Si le diable réside souvent dans les détails, les solutions s’y trouvent également », remarque Mounir Mahjoubi dans sa note. Et, ajoutera-t-on, l’enfer est toujours pavé de bonnes intentions.

Politiques de santé publique et choix juridiques face à l’épidémie

Les Français ne peuvent, amèrement, que constater la déficience de l’État face à l’épidémie du Covid-19 et le déclassement de la France.

D’abord, face au risque de virus, le comportement diffère en fonction des majorités politiques avant et après 2012. Ensuite, même si la loi du 23 mars 2020 « d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 » a permis, un peu tardivement, l’adoption de mesures dérogatoires et exceptionnelles, l’exécutif a manqué d’ambition et de discernement, notamment sur la question des tests, qui se révèle aujourd’hui un préalable à la sortie du confinement.

C’est d’autant plus consternant que force est de constater que jusqu’à l’alternance de 2012, le pays s’était doté des outils nécessaires pour lutter contre une éventuelle pandémie.

En effet, face au SRAS, un coronavirus ayant circulé en 2003, au Chikungunya, puis à la grippe A (H 1 N1) en 2009/2010, les pouvoirs publics avaient mis en œuvre des politiques plus ambitieuses.

On peut rappeler quelques mesures.

D’abord l’adoption d’un décret (n° 2005-1057) du 30 août 2005 instituant un délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire. Selon son article 1er, « le délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire est placé auprès du Premier ministre. Il coordonne l’action de l’Etat contre un risque de pandémie de grippe d’origine aviaire et suit la mise en œuvre des mesures décidées dans le cadre du plan de lutte contre ce risque ». Cette délégation interministérielle a été postérieurement supprimée.

Ensuite, la loi n° 2007-294 du 5 mars 2007 relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur, issue d’une proposition de loi déposée par Francis Giraud, professeur de médecine et sénateur gaulliste des Bouches-du-Rhône.

Son but était prémonitoire : prévoir le renfort en personnel du système de santé et la logistique relative aux produits de santé et équipements achetés et stockés dans le cadre des plans (blancs et blancs élargis).

Son moyen : la mise en place d’un corps de réserve sanitaire, pour augmenter les ressources en personnel de santé en cas de crise de type pandémie.

Cette loi a aussi créé l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), avec deux missions essentielles : gérer la réserve sanitaire d’une part, gérer les stocks stratégiques de produits de santé d’autre part.

Déjà, en 2009, cet établissement, alors doté d’un fonds de 209 millions d’euros, se préoccupait de l’approvisionnement en masques FFP2.

Or, cet établissement a été dissous en 2016, après avoir d’abord subi une diminution drastique de ses ressources.

Selon un rapport d’information rédigé par le sénateur Francis Delattre en 2015, fait au nom de la commission des finances du Sénat et déposé le 15 juillet 2015 (n° 625) : « au total les subventions versées à l’EPRUS ont diminué de 56 % entre 2011 et 2015 ».

La loi du 5 mars 2007 avait aussi permis de donner à l’Etat un cadre juridique nécessaire à la réquisition des outils nécessaires à la lutte contre la pandémie. La réquisition des masques par l’Etat aujourd’hui en est la conséquence.

Autre exemple concret de la lutte contre l’arrivée d’un virus : un arrêté du 3 décembre 2009 permettait la délivrance à chacun : « d’un kit, comprenant un traitement antiviral et une boîte de masques anti-projections issus du stock national, délivré gratuitement sur prescription médicale par les officines de pharmacie (…) ».

En 2009, l’Etat stratège, donc prévoyant, disposait d’un stock d’un milliard de masques chirurgicaux et de 900 millions de masques FFP2.

Enfin, dernière mesure à noter, l’élaboration d’un plan national contre la « pandémie grippale » inspiré par la stratégie définie par l’OMS. Le SGDSN avait préparé en octobre 2011, un document (n°850/SGDSN/PSE/PSN), intitulé « plan national de prévention et de lutte pandémie grippale », prémonitoire au vu des circonstances actuelles. Il se présentait comme une collection de fiches d’aide à la décision en cas de crise, reprenant nombre de dispositions contenues dans les textes réglementaires adoptés en mars 2020.

Mais la gestion calamiteuse de la pandémie du Covid-19 s’explique également par l’absence de réactivité du gouvernement actuel.

Chacun sait que la protection assurée par les masques et la possibilité pour tous de se faire dépister sont des préalables à la fin de la période du confinement.

Les déclarations du ministre de la Santé qui, lors de la séance des questions au gouvernement tenue au Sénat le 25 mars 2020, soutenait vouloir « continuer de nous conformer scrupuleusement aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé en matière de tests (…) » y sont conformes, mais pas mises en œuvre.

Ainsi, le ministre en charge de la Santé promettait alors de passer sous quinzaine de 5 000 tests par jour à près de 20 à 25 000 tests journaliers, sans en préciser les modalités.

Or, dès le 15 mars 2020, les directeurs des 75 laboratoires départementaux offraient, dans le cadre de la « guerre » déclarée deux jours plus tôt par le chef de l’État leur concours, promettant de 150 000 à 300 000 tests hebdomadaires PCR ou sérologiques.

Aucune réponse concrète ne leur a été apportée, les agences régionales de santé (ARS) leur opposant des difficultés juridiques, sans les préciser, ni même proposer l’adoption des dispositions nécessaires.

À l’origine, les laboratoires départementaux, anciens laboratoires vétérinaires, intervenaient essentiellement pour la santé animale et l’hygiène alimentaire ; leurs activités se sont étendues aujourd’hui dans le domaine de l’environnement.

Il est vrai qu’ils n’avaient pas pour vocation première un tel dépistage. Un examen de biologie médicale est en effet défini dans la loi du 30 mai 2013, comme : « un acte médical qui concourt à la prévention, au dépistage, au diagnostic ou à l’évaluation du risque de survenue d’états pathologiques, à la décision et à la prise en charge thérapeutiques, à la détermination ou au suivi de l’état physiologique ou physiopathologique de l’être humain ».

D’ailleurs, les dispositions des articles L 6211-18 du code de la santé publique attribuent aux laboratoires de biologie médicale le monopole de ce type d’examens, depuis la loi n° 2013-442 du 30 mai 2013, complétant l’ordonnance n°2010-49 du 13 janvier 2010.

En outre, le législateur a prévu la protection de ce monopole, puisque l’exercice illégal des fonctions de biologiste médical est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Le gouvernement avait néanmoins les moyens de remédier à ce monopole en édictant rapidement des dérogations, au profit par exemple des laboratoires départementaux, au vu de l’état d’urgence sanitaire.

Les dispositions de la loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020 permettent au gouvernement de prendre des décrets, notamment pour modifier le droit positif, dont celui du n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (notamment le contrôle des prix des gels, l’interdiction des rassemblements, les réquisitions de masques, etc.). Or, ces dispositions ne prévoyaient aucune dérogation au profit des laboratoires départementaux, afin de multiplier les tests de dépistage du Covid-19.

Malgré les demandes de leurs directeurs, appuyées par nombre de présidents de conseils départementaux, dont ceux de la Sarthe, de la Vendée, de la Mayenne et de la Loire-Atlantique, aucune mesure n’était prévue en faveur des laboratoires départementaux dans le décret précité.

Il faudra attendre jeudi 2 avril l’intervention signalée du président du groupe majoritaire au Sénat conjurant le Premier ministre de prendre les mesures adéquates, pour que son ministre en charge de la Santé annonce, dès le lendemain, une modification à venir du droit positif.

Ainsi, sur le fondement des dispositions précitées, l’article 1er du décret du 5 avril 2020 a permis de compléter celui du 23 mars 2020 en autorisant le représentant de l’État dans le département à réquisitionner « lorsque les laboratoires de biologie médicale ne sont pas en mesure d’effectuer l’examen de « détection du génome du SARS-CoV-2 par RT PCR » ou d’en réaliser en nombre suffisant pour faire face à la crise sanitaire », les « autres laboratoires ».

Ne sont d’ailleurs pas mentionnés dans ces dispositions les tests sérologiques.

L’article 1 de l’arrêté du 5 avril 2020 paru au JO du lundi 6 avril complète les instruments juridiques, puisqu’il permet aux laboratoires d’analyses départementaux de procéder à la détection du Covid-19. Il précise ainsi l’arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Ce sont donc trois semaines qui auront été perdues entre le 15 mars et le 6 avril dans la « guerre » déclarée par le président au Covid-19.
Un ennemi supplémentaire pourrait être désigné et surtout combattu : une bureaucratie tellement étouffante qu’elle empêche l’État de défendre la nation et les Français.

Article paru le 9 avril par la Revue Politique et parlementaire

Philippe Fontana
Membre du CERU, le labo d’idées universitaires
Avocat au barreau de Paris