Des milices d’autodéfense, une idée légitimée par des universitaires et reprise par l’ultra gauche

Lors du rassemblement contre l’islamophobie à l’appel notamment de LFI, dimanche 27 avril à Paris, le collaborateur d’Ersilia Soudais, M. Ritchy Thibault, bien connu pour ses provocations et ses dérapages multiples, a pris le micro pour exhorter la foule à constituer partout en France des brigades d’autodéfense populaire contre l’islamophobie.

« On ne peut pas compter sur les institutions, la police, la justice véhiculent l’islamophobie et le racisme, on ne peut compter que sur nous-mêmes, et c’est pourquoi il faut que l’on se défende par nos propres moyens ; il faut constituer partout dans le pays des brigades d’autodéfense populaire », a-t-il déclaré.

Attention : en employant le concept d’autodéfense, Ritchy Thibault s’inscrit dans une tradition militante qui a désormais le vent en poupe avec la montée en puissance dans les universités et les médias des thèses intersectionnelles.

À la différence de la légitime défense, qui est reconnue et encadrée par le droit (nécessité immédiate, riposte proportionnée…), l’autodéfense déni toute légitimité à l’État et à la justice. Elle s’inscrit en opposition à la tradition weberienne qui attribue « le monopole de la violence légitime » à l’État. Il ne s’agit plus de répondre à une agression ponctuelle, mais de se protéger d’un système perçu comme structurellement oppressif. Cette redéfinition ne se limite plus aux marges militantes : elle s’impose dans de nombreux travaux universitaires récents.

À l’origine de cette évolution, un constat radical, martelé depuis des années sur de nombreux campus et dans certains médias : la police ne serait pas, selon ces analyses, un instrument neutre de la loi, mais une force au service de l’ordre social et économique existant. Paul Rocher, auteur en 2023 de Que fait la police ? Et comment s’en passer, prétend que

« la police moderne n’a pas été créée pour assurer la sûreté de toute la population. Sa tâche est bien plus circonscrite : maintenir l’ordre établi », que l’on peut traduire selon lui par le système capitaliste et patriarcal.

De son côté, Geoffroy de Lagasnerie, le philosophe préféré de l’ultragauche et du New York Times, va encore plus loin en ajoutant que « la police ne sert pas d’abord à appliquer la loi mais à éliminer des groupes sociaux », en ciblant prioritairement certaines catégories de population, notamment jeunes, noires et arabes.

Ce diagnostic amène certains collectifs à refuser tout recours aux institutions policières et judiciaires, même en cas d’agression. De nombreuses militantes féministes, notamment issues des courants décoloniaux, choisissent ainsi de ne pas porter plainte après des agressions sexuelles commises par des personnes racisées, pour éviter que leur situation ne soit utilisée pour légitimer un ordre raciste. Dans un appel intitulé « Féministes, nous luttons contre la répression d’État » (22 avril 2021), une dizaine d’universitaires et des collectifs féministes écrivent :

« Nous avons peur de la police. Parce que ses marges de manœuvre semblent sans limite, y compris celles de nous humilier, de nous violer, de nous tuer – tant son impunité est scandaleuse. Parce qu’elle est armée et compte en son sein un nombre non négligeable de conjoints violents et de fascistes ».

Françoise Vergès, qui fait également partie des signataires de cet appel, publie en 2020 Une théorie féministe de la violence, pour une politique antiraciste de la protection. Dans ce livre, elle critique vigoureusement ce qu’elle appelle le « féminisme carcéral », qui « confie à l’État mâle, violeur » la mission illusoire de protéger les femmes. Elle plaide au contraire pour une « alternative à la protection patriarcale et étatique », fondée sur l’organisation d’instances de défense communautaire.

Inspirés par le mouvement Defund the Police aux États-Unis, des collectifs entendent réduire voire supprimer la dépendance aux forces de l’ordre, au profit de dispositifs locaux de médiation, de protection physique et d’accompagnement psychologique grâce à l’organisation de dispositifs et de brigades d’autodéfense communautaire.

L’autodéfense est donc théorisée comme une stratégie de substitution : il ne s’agit plus seulement de pallier des carences policières, mais de construire une protection autonome contre ce qui est perçu comme un « ordre violent » global – capitaliste, patriarcal et colonial.

L’écho croissant de ce concept dans certaines disciplines universitaires (sociologie, philosophie politique, études postcoloniales) soulève de véritables inquiétudes.

L’élargissement indéfini du champ de l’ennemi – de l’agresseur physique à l’État lui-même, en passant par tout ce qui symbolise le capitalisme – brouille la frontière entre défense et attaque, entre protection et subversion politique. Cela permet de légitimer, au nom de la protection communautaire, des formes de violence proactive qui sont d’ailleurs déjà à l’œuvre dans les mouvements antifas ou dans les groupes écologistes radicaux qui prônent le “désarmement” du système capitaliste, c’est-à-dire son sabotage.

Une fois encore, les signes avant-coureurs – nombreux et répétés – de cette nouvelle légitimation de la violence politique ont été largement sous-estimés. Il faut qu’un représentant d’un parti politique harangue la foule, après avoir déjà appelé à l’insurrection – une plainte a été déposée contre lui par le préfet de police de Paris – et invite désormais à constituer des milices d’autodéfense pour que l’on s’intéresse enfin à cette menace. Espérons que cela servira de prise de conscience… mais trop souvent, quand le sage montre la lune, l’idiot utile se contente de regarder le doigt.


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Sabotages, agressions et incendies : la France sous la pression de l’ultragauche

Longtemps sous-estimée, la menace que constitue l’ultra-gauche éclate désormais au grand jour, souligne Olivier Vial, directeur du CERU et responsable du programme de recherche sur les Radicalités.

TRIBUNE parue dans le JDD, le 10 avril 2025.

Des appels à l’émeute circulent depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux en vue des manifestations du 1er mai. Des groupes d’extrême gauche, mais aussi certains attachés parlementaires de La France insoumise, relaient des messages invitant à « déborder le dispositif » policier à cette occasion. Derrière cet euphémisme militant, la consigne est claire et bien connue : contourner les cordons de CRS, passer en force, créer des points de rupture pour provoquer des affrontements. Le préfet de police de Paris, Laurent Nunes, vient de saisir la justice au titre de l’article 40 pour des faits susceptibles de relever de la provocation à commettre des violences et des dégradations contre ceux qui partagent ces messages.

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Un contexte tendu

La menace est d’autant plus prise au sérieux qu’elle s’inscrit dans un contexte extrêmement tendu. Depuis plusieurs semaines, les signaux d’alerte se multiplient : le 8 avril, un McDonald’s a été totalement incendié à Montrabé (Haute-Garonne) par un groupuscule d’ultragauche se faisant appeler, pour la circonstance, « Les frites insoumises », au prétexte que la firme américaine soutiendrait Israël. Le 30 mars, pour des motifs similaires, ce sont près d’une centaine d’activistes masqués et vêtus de combinaison blanche qui ont vandalisé et saboté les équipements de l’entreprise Teledyne à Saint-Égrève (Isère). Le 3 mars, une concession Tesla a été attaquée à Toulouse dans le cadre de la campagne « Crame une Tesla », entraînant plus de 600 000 euros de dégât.

Une stratégie : entretenir le chaos et espérer l’insurrection

Sur les campus, l’ultragauche multiplie les actions violentes : coups et menaces contre des militants de l’UNI sur les campus de Brest, Rennes, Paris, Toulouse, chasse aux professeurs à Sciences Po Strasbourg, professeur empêché de faire cours à Lyon 2… la liste s’allonge chaque jour. Elle ne relève pas des simples faits divers. Elle s’inscrit dans une stratégie : entretenir le chaos et espérer l’insurrection, le fameux « soulèvement », mot clef désormais de toutes les revendications.

Une menace longtemps sous-estimée

Pendant des années, chercheurs et magistrats ont regardé ailleurs. L’extrême gauche violente, ses structures, ses objectifs, ses relais, n’ont pas fait l’objet de la même vigilance que les autres radicalités. Dans son ouvrage sur la violence politique en France, Isabelle Sommier, soulignait même « la quiétude relative de nos sociétés ». Pour elle, entre 1986 et 2019, la violence politique était résiduelle en France et concentrée sur la Corse en raison des actions des mouvements indépendantistes. Au prix d’agrégation discutable, comparant des agressions isolées commises souvent sous l’emprise de l’alcool – ce qui ne diminue pas leur gravité mais relativise leur portée politique – avec des actions pensées et coordonnées, elle parvenait même à établir que la violence politique était alors plutôt le fait de la droite que de la gauche radicale. Quant aux violences à caractère sociétal (écologie radicale, néoféminisme, antispéciste, décolonialiste…), elles ne représentaient selon eux que 5 % des événements recensés.

Une nouvelle dynamique radicale est née et les violences de l’ultragauche sont devenues hégémoniques

L’année 2015 marque une véritable rupture. Isabelle Sommier note qu’entre 2015 et 2019, la part des violences sociétales bondit pour atteindre 39 % des violences politiques observées. Depuis, la frontière entre violence d’ultragauche et violence sociétale est tombée. Au nom des combats intersectionnels, de la lutte contre la capitalocène et le néocolonialisme, une nouvelle dynamique radicale est née et les violences de l’ultragauche sont devenues hégémoniques.

Grenoble, fief de l’ultra-gauche

Le 30 janvier 2025, le procureur de Grenoble, Éric Vaillant, au moment de quitter ses fonctions dans cette ville, avait tenu à souligner la menace trop longtemps sous-estimée que faisait peser l’ultragauche sur nos vies. Ils notaient : « l’ultragauche à Grenoble, c’est un attentat tous les six mois en moyenne ». Et pourtant, jusqu’à présent le parquet antiterroriste préfère déléguer ces affaires aux juridictions locales. Dans un entretien accordé à France Télévisions, il poursuivait : « Ces attentats n’ont pas encore été qualifiés ainsi par le pôle national antiterroriste. Mais il y a à Grenoble un fief de l’ultragauche insurrectionnelle. Les gens qui commettent ces attentats sont plutôt des intellectuels, plutôt des malins ».

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Cette montée de la violence politique et de son impact sur nos entreprises est désormais une inquiétude largement partagée. Dans son dernier baromètre des risques, paru en janvier 2025, l’assureur Allianz classe les risques activistes et politiques devant les incendies et les risques climatiques, à la quatrième place des préoccupations majeures des entreprises.

Une violence théorisée et légitimée

Cette violence n’est pas une dérive involontaire, c’est une stratégie pensée, assumée et relayée par des figures universitaires désormais adoubées par les milieux radicaux. Andreas Malm, figure centrale de cette mouvance, intervenant pour l’Institut de la Boétie, le centre de formation de LFI, auteur de Comment saboter un pipeline, plaide pour une « complémentarité des tactiques ». Dans sa bouche, cela signifie que les actions illégales et violentes ne sont pas opposées à la lutte non-violente, mais au contraire nécessaires pour créer la crise, pour forcer la main aux modérés. Il parle d’une « loi de l’augmentation tendancielle de l’acceptabilité de la violence dans un monde en réchauffement rapide ». Autrement dit, plus la situation devient tendue, plus la violence deviendrait non seulement utile, mais légitime.

« Il ne faut pas avoir peur de poser la question de la nécessité, de la possibilité, pour nous de l’usage planifié de la violence politique, de la lutte armée »

Un message reçu 5/5. Le 28 novembre 2023, un appel glaçant a circulé sur plusieurs canaux de l’ultragauche : « Il ne faut pas avoir peur de poser la question de la nécessité, de la possibilité, pour nous de l’usage planifié de la violence politique, de la lutte armée ». Cet appel à la constitution d’un « groupe autonome clandestin organisé de manière paramilitaire » n’a suscité aucune réaction politique d’ampleur. Or, il pose la question centrale de la logique de surenchère inévitable entre l’ensemble de ces mouvements radicaux. Aller toujours plus loin pour se démarquer des autres, des « mous », de ceux qui n’ont pas le courage nécessaire… la rhétorique est aussi connue que dangereuse. Elle installe un engrenage fatal.

Violence contre les personnes

Que se passera-t-il demain si les attaques matérielles ne suffisent plus ? Lorsqu’un militant estimera que seule la violence contre des personnes « fait bouger les lignes » ? En juin dernier, sur France Inter, Léna Lazare, porte-parole des Soulèvements de la Terre, répondait ainsi à la question : « Pour l’instant ce n’est pas dans les projets, […] c’est des choses que l’on peut envisager, et c’est sans doute des questions que vont se poser d’ici quelques années très sérieusement des militants écologistes ».

Un mouvement organisé qui étend son emprise sur nos universités et menace nos entreprises

Si l’on veut avoir une chance de stopper cette spirale radicale avant qu’il ne soit trop tard, il faut avoir le courage de la regarder en face, de cesser de la minimiser. Ne jamais oublier que les auteurs de ces violences ne sont pas de simples marginaux, des zadistes en perte de repère : c’est un mouvement organisé qui étend son emprise sur nos universités, notre jeunesse, et menace désormais nos entreprises ainsi que nos infrastructures vitales (réseaux électriques, ferroviaires, numériques…). Ayons, en la matière, comme Péguy nous y invite le courage de « voir ce que l’on voit ».